Un, deux, trois,...
La voix de ma mère résonnait dans l'air comme un compte à rebours. Mes yeux balayaient frénétiquement le jardin, plongé dans la pénombre, à la recherche d'une cachette.
Quatre, cinq, six,...
Le temps filait entre mes doigts et je n'avais toujours pas esquissé un geste.
Sept, huit, neuf,...
Je repérai un trou dans la haie qui entourait notre jardin et m'y précipitai. Ma mère m'avait fait promettre de ne pas tâcher ma robe car les vêtements étaient de plus en plus difficiles à trouver mais tant pis. L'euphorie du moment était trop grande pour que je perde du temps à me préoccuper de ce genre de choses. Je voulais profiter du moment présent sans me soucier de rien d'autre à part du jeu que nous venions de débuter. Sans perdre une seconde de plus, je me trainai dans l'herbe humide, mes cheveux s'accrochant aux branchages.
Dix,...
- J'arrive ! cria ma mère avant d'enlever le bandeau qui lui cachait les yeux.
Je m'immobilisai une fraction de seconde avant d'écarter le feuillage qui me camouflait. Je ricanais intérieurement en voyant ma mère passer sa tête par la fenêtre de ma petite maison en plastique, située à l'opposé de l'endroit où je m'étais dissimulée. Tout en gardant un œil sur elle, je m'enfonçai un peu plus loin dans les broussailles, jusqu'à ce que mon dos butte contre quelque chose de dur et qu'une goutte gluante s'écrase sur mon front.
Surprise, je levai la tête et découvris une silhouette, ressemblant à un homme, penchée au-dessus de moi. Mais, au premier coup d'œil, je sus que ce n'étais pas un humain comme moi. De la salive coulait le long de ses lèvres alors qu'il me regardait. Sa peau diaphane, toute défraichie, couverte d'ecchymoses et d'égratignures, luisait d'une lueur anormale sous la clarté de la lune et ses yeux noirs me fixaient avec avidité. Je voulus hurler mais il plaqua une main malodorante sur mes lèvres. La peur manqua un instant de me faire perdre mes moyens, si bien que je le laissai approcher ses lèvres de mon cou sans émettre le moindre son et sans faire un seul geste. Ce ne fut que lorsque l'éclat de la lune se refléta sur ses dents jaunies par les années que je repris possession de mon corps. Il fallait à tout prix que je me sorte de ce pétrin. Je mordis la main de la créature sans réfléchir et un goût putride emplit ma bouche, me donnant l'envie de vomir. Mon agresseur brailla et me lâcha. Je pris aussitôt mon courage à deux mains et me mis à courir en criant comme une folle.
- Maman !!!!!!
Je lui tombai dans les bras en pleurant, alors que mon ennemi émergeait des buissons. Je tremblais comme une feuille et je n'eus pas la force de relever la tête pour regarder la créature. Je savais qu'elle approchait et ce simple constat suffit à m'affoler. J'étais toujours blottie contre les jambes de ma mère lorsque je la sentie se tendre comme un ressort prêt à bondir.
- Oh non, ce n'est pas possible ! s'écria cette dernière au comble de l'horreur en me poussant derrière elle.
Je me cachai derrière ses jambes, pensant ainsi échapper au danger qui me menaçait, mais elle m'ordonna d'aller m'enfermer à l'intérieur de la maison, ce que je fis sans discuter, la peur me nouant les entrailles.
* * *
Il faisait sombre dans le placard. Je ne distinguais même pas l'extrémité de mes doigts que j'agitais devant mon visage. J'étais seule et j'avais peur. J'avais l'impression qu'une éternité s'était écoulée depuis que je m'étais enfermée sous les escaliers pour me mettre à l'abri. Chaque bouffée d'air me brûlait les poumons et mes pleurs ne voulaient pas se tarirent. Je m'en voulais d'avoir versé des torrents de larmes en exigeant que ma génitrice m'emmène jouer à l'extérieur. Je savais que ces créatures assoiffées de chair humaine trainaient dans les rues mais j'en avais assez de vivre entre quatre murs. Je voulais sentir le vent sur ma peau et apercevoir les étoiles autrement qu'à travers une vitre, comme avant. Je me remémorai la face dévastée du monstre et me remis à trembler de plus belle. Comment de telles créatures avaient pu voir le jour et surtout, comment avaient-elles réussi à contraindre les humains survivants à se terrer dans leurs maisons pour échapper à leur cruauté ? Le monde était dévasté et notre existence se résumait à la survie. Je me demandai quand ma mère se déciderait à venir me chercher pour que nous puissions affronter la situation ensemble comme nous en avions à présent l'habitude.
Alors que je pensai cela, j'entendis le plancher craquer sous des pas et la porte du cagibi s'ouvrit sur un homme habillé en noir. Surprise, je reculai jusque dans le fond du placard mais je me rendis compte, bien vite, que cet individu ne me voulait aucun mal. J'approchai à quatre pattes et scrutai son visage qu'il me semblait avoir déjà vu. Je le reconnus soudain. Il s'agissait du jeune homme qui avait emménagé dans la maison voisine quelques jours plus tôt. Je me souvins aussi du regard entendu qu'il avait adressé à ma mère en pénétrant dans sa nouvelle demeure et du soulagement qui s'était affiché dans les traits de ma génitrice. L'homme qui se tenait devant moi ne pouvait pas être un ennemi et puis j'avais assez de monstres à haïr pour me permettre de me méfier des autres humains. Tremblante, je rampai pour effacer les derniers centimètres qu'il restait entre nous et me mis debout sur mes jambes en le contemplant de mes grands yeux bleus. Il me prit dans ses bras et m'emmena hors de mon habitation. Je me sentais en sécurité, blottie contre son torse et les secousses qui ébranlaient mon corps se calmèrent quelque peu. Il cacha mes yeux lorsque nous arrivâmes dehors, tout en continuant à marcher, et me rendit la vue une fois que nous nous fûmes éloignés de chez moi. Mon sauveur avait voulu me préserver de quelque chose, comme me le montrait son expression grave et affligée. Ne sachant pas de quoi il s'agissait, je ne pris pas la peine de m'inquiéter outre mesure. Ma respiration reprit un rythme normal mais mon cerveau était en ébullition. Les questions fusaient de ma bouche sans que je ne puisse en retenir une seule. Le jeune garçon les éludait toutes et je n'obtins aucune réponse durant tout le trajet. Frustrée, je m'avouai vaincue et calais ma tête dans le creux de son cou, des images de la soirée tournant en boucle devant mes yeux.
Je ne m'étais jamais rendue compte à quel point le quartier résidentiel dans lequel ma mère et moi avions élu domicile était immense. Mon sauveur marchait depuis un bon moment déjà quand il s'arrêta et frappa à la porte d'une habitation. Une jeune fille lui ouvrit. Elle était très grande, mince, habillée de couleur sombre et était armée jusqu'aux dents. En nous découvrant, elle rangea son couteau dans son étui et s'écarta pour nous laisser passer. Cette fille me faisait peur alors je détournai le regard pour ne plus la voir. Je croisai les yeux de mon voisin un instant mais cela suffit pour qu'il comprenne que j'étais dépassée par la situation. Je sentis l'étreinte de ses bras se renforcer autour de mon corps alors qu'il pénétrait en toute hâte dans la demeure. J'entendis la porte se refermer derrière nous et plusieurs loquets retrouver leur emplacement initial. Le jeune homme qui m'avait secourue prit place sur une chaise et caressa lentement mes cheveux pour m'apaiser. Son geste eu l'effet escompté car mes paupières commencèrent à papillonner et je m'endormis quelques instants plus tard sous l'effet de l'émotion.
Dans mon sommeil, des bribes de leur discussion me parvinrent :
- ...
- Je ne peux pas la garder ici ! Je n'ai pas le temps de m'occuper d'une enfant et je ne suis jamais là.
- Elle sera mieux ici qu'avec moi. Je ne suis pas assez entraîné pour lui procurer assez de sécurité et...
- Ce n'est pas mon problème. Elle ne sera en sécurité nulle part, tu le sais aussi bien que moi. Je n'ai que 16 ans et déjà plein de responsabilités pour mon âge.
- Tu ne peux pas la rejeter, aie pitié d'elle. Tu es bien placée pour savoir ce que ça fait d'être à sa place. Toi aussi tu as perdu ta mère alors que tu étais très jeune. De plus, ...
- Bon d'accord, concéda l'adolescente. Mais s'il devait lui arriver quelque chose, je ne tiens pas à être considérée comme responsable. C'est entendu ?
Une main se posa sur mon épaule pour m'écarter du torse de mon sauveur et j'ouvris les yeux. En face de moi se tenait la jeune fille, les lèvres pincées de contrariété. Le garçon me posa par terre avant de se lever et de se diriger vers la porte.
- Ne me laissez pas avec elle, je vous en prie ! le suppliai-je.
Mon voisin m'offrit un sourire contrit et ferma la porte derrière lui. Je ne pus empêcher mes larmes de couler.
- Je veux ma maman !
L'adolescente qui me faisait face croisa les bras sur sa poitrine avant de dire d'une voix froide, sans compassion :
- Ta maman n'existe plus, il va falloir t'y faire. Je m'appelle Daphnée et je vais devoir m'occuper de toi.
Sur ce, elle me prit par la main et m'emmena à l'étage.
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L'armée du zénith
Science FictionLe monde n'est plus ce qu'il était. Du jour au lendemain, la vie de milliards d'humains a virée au cauchemar. Des créatures repoussantes ont envahi le monde, semant le chaos sur leur passage. Thelia est une rescapée. La jeune fille vit avec sa mère...