Chapitre 22

181 17 4
                                    


J'ouvris difficilement les yeux. Tout était noir autour de moi et l'air était saturé de fumée. Des cendres voltigeaient dans tous les sens. Au prix d'un incroyable effort, je décollais ma joue du sol et m'appuyais sur mes coudes. Je scrutais le paysage d'horreur à la recherche d'une âme en vie, sans succès. Je ne vis pas Brian. Je repensais à ce qu'il m'avait dit à l'intérieur : « Nous ne pouvons pas mourir ! ». En grimaçant, je m'assis sur le sol et toussais pour dégager mes bronches abîmées. Je voulus hurler pour que quelqu'un m'entende mais ma gorge sèche n'émis pas un son et mes lèvres craquelées ne se muèrent pas. Je regardais derrière moi. Aucun zombie à l'horizon, Brian et moi avions au moins réussi ça. Des flammes s'échappaient du bâtiment qui venait d'exploser. L'air chaud caressait mes cheveux. Il fallait absolument que je sorte de là si je ne voulais pas me mettre à rôtir vivante. Je me mis à ramper sur le béton en toussant de plus belle.

Mes mains étaient écorchées de partout et mes bras tremblaient sous l'incommensurable effort qui était de soutenir mon corps. Je ne voyais pas où j'allais. Soudain, mes doigts rencontrèrent quelque chose. Une main ! L'appréhension s'empara de moi. Je grattais les cendres qui recouvraient le corps comme un chien déterrant la terre pour trouver son os sauf que dans mon cas, c'était beaucoup moins drôle. La crasse s'incrusta sous mes ongles et dans mes blessures mais je m'en fichais. Le visage de Brian émergea soudain.

- Dieu du ciel ! soufflais-je en voyant sa figure noire de suie.

Je le secouais un peu pour le réveiller. Il se mit à tousser et ouvrit bientôt les yeux, ses poumons cherchant de l'air sans en trouver en quantité suffisante.

- Il faut partir d'ici tout de suite ! le pressais-je.

Le garçon acquiesça. Il se mit à quatre pattes et on rampa tout deux, difficilement, pour se sortir de ce cauchemar.

* * * * * * * * * * * * * *

Comme par miracle, nous émergeâmes du nuage de fumée. Epuisés, nous nous écroulâmes contre un tas de briques en aspirant l'air sans retenue. Je me retournais vers mon compagnon et il fit de même. Nous nous dévisageâmes un bout de temps avant que Brian éclate de rire.

- Tu verrais ta tête ! me lança-t-il.

- Et toi alors ! Tu as la tête d'un hérisson sur lequel on aurait versé un pot de peinture noire ! me vengeais-je.

Je n'arrivais pas à éclater de rire comme lui, cependant. Le poids des vies que nous avions perdues pesait lourd sur mes épaules et j'étais impatiente de retrouver les autres, en espérant qu'ils s'en soient sortis indemnes et qu'ils aient trouvé un endroit où se mettre à l'abri. Je me levais en tremblant et mon visage embrassa le paysage dévasté. Alors que j'allais me mettre à avancer, Brian attrapa ma main.

- Attend, nous devons parler tous les deux...

Je ne m'assis pas comme il me le demandait et me contentais de rester debout en croisant les bras.

- Thelia, ce n'était pas une blague tout à l'heure quand je t'ai dis que nous ne pouvions pas mourir. Depuis la nuit des temps, les femmes de ma famille ont un don qu'elles se transmettent de génération en génération. Le don de la vie éternelle. Ma mère l'avait, Daphnée aussi et ma sœur te l'a donné.

Ses mots avaient du mal à atteindre mon cerveau. Daphnée, la sœur de Brian ? C'était possible. Après tout, je ne connaissais rien de sa vie et puis, la similitude des gestes de combattants entre Daphnée et Brian trouvaient ainsi tout leur sens De plus, la réaction de ce dernier quand je lui avais appris la mort de ma tutrice se trouvait fondée.

- Je veux bien croire que Daphnée soit ta sœur, dis-je, mais pas à un quelconque pouvoir !

- Alors comment expliques-tu que Daphnée et moi-même n'étions pas encore morts malgré tous les dangers que nous avions affrontés ? Depuis que nous avons l'âge de marcher, nous avons combattu les ténèbres. Et te concernant, comment expliques-tu que ta jambe ait cicatrisée si vite et que ton épaule se soit remise en place toute seule ?

Choquée par ses propos qui tenaient la route finalement, je me laissais tomber à côté de lui. Pourtant, une pensée m'obsédait...

- Pourquoi toi tu ne peux pas mourir alors que tu viens toi-même de me dire que seules les femmes de ta famille ont ce don ?

- C'est ma mère qui m'en a fait cadeau. Elle est morte le jour suivant, sans défense. Une fois que tu as transmis le don, tu n'es plus protégé.

Ses paroles étaient insensées mais malgré cela, je le croyais, presque. Maintenant qu'il avait commencé à parler, il ne pouvait plus s'arrêter.

- Mon père était furieux que ma mère m'ait donné son don à moi et pas à lui. Après sa mort, il s'est mit à me battre pour que je le lui donne à mon tour mais ma mère m'avait fait promettre de ne pas lui transmettre même sous la pire des tortures car, disait-elle, avec toutes les horreurs qu'il avait vues, il n'était plus le même homme. Cependant, même si je me savais invincible, mon corps était au supplice et je finis par céder. Je prononçais l'incantation alors que mon père continuait à abattre son fouet sur moi. Je voulais mourir. Mais rien ne se passa. J'étais toujours vivant et mon père était toujours mortel. C'est comme cela que j'ai découvert qu'un garçon ayant reçut le don le garderait jusqu'à la fin de sa vie. Me voilà donc immortel, condamné à voir le monde se détériorer et peut-être bien qu'un jour, je serais le dernier humain encore vivant sur Terre.

Sans m'en rendre compte, j'avais saisis sa main pour le réconforter alors qu'il était plongé dans ses souvenirs, de la sueur dégoulinant de son front sous leur poids. Il émergea soudain, cligna plusieurs fois des yeux et tourna la tête dans ma direction.

- Daphnée n'a pas supporté de voir la cruauté de mon père et a quitté notre repère en m'emmenant avec elle. Lorsque je fus plus âgé, je ne pus plus supporter cette vie de hors la loi et je retournais donc auprès des autres soldats de l'armée du zénith. Lorsque mon père m'aperçut, il m'attrapa par le col de mon t-shirt et me plaqua contre le mur avant de prendre un de ses couteaux et de me faire cette entaille au visage, que tu peux toujours voir.

Je touchais cette fameuse cicatrice du bout des doigts et Brian tressaillit avant de se lever.

- J'ai toujours cru que c'était un zombie qui t'avait fait ça... Mais quel genre de monstre était ton père ?

Il émit un rire jaune avant de planter ses yeux remplis de fureur dans les miens.

- Mon père, comme tu dis, était notre entraineur à tous.

J'ai bien eu l'impression que mes yeux allaient sortir de leurs orbites. Je n'y aurais jamais pensé. Que de découvertes faisais-je aujourd'hui ! En détournant le regard pour assimiler toutes ces informations, je croisai les yeux noirs de Brian et je me rappelais le regard froid de ce dernier alors qu'il abattait notre entraineur, son père. Et si lui aussi était devenu un monstre sans âme, habitué à côtoyer la mort, si bien qu'elle ne lui faisait plus peur ?


L'armée du zénithOù les histoires vivent. Découvrez maintenant