Dans l'Ombre de la Lune

Chapitre I : Tueuse / Partie 3

- Tu as fait un excellent boulot, Kéra, comme toujours ! Il a un bras et une jambe cassés, mais il est toujours vivant !

- Qu'est-ce que tu croyais, Lorou ? Que j'allais vous le ramener mort, malgré les ordres ?, s'énerva la jeune louve.

- Bien sûr que non, Shasha, rétorqua le loup en s'approchant d'elle.

- Tu ne m'appelles jamais ainsi, est-ce clair ?, le menaça-t-elle.

Elle ne lui laissa pas le temps de répondre et le laissa, bras ballants, devant la porte du réfectoire. Elle ne supportait pas que quelqu'un utilise ce surnom pour elle. Personne, mis-à-part ses défunts parents et Faroh n'avait eu le droit de l'appeler « bébé ». Tous les trois étaient morts, et ce surnom avait disparu avec eux. La jeune louve traversa le long couloir bétonné et vide de toute décoration et de toute autre personne qui menait aux dortoirs pour sortir de leur cachette et profiter un peu de l'air chaud du sud de la Floride à la tombée de la nuit. Cela faisait plus de cent ans que les loups d'Amérique du Nord s'étaient regroupés dans un abri sous-terrain, en plein milieu d'une forêt de pins des marais. Vivre dans cet état où la chaleur était omniprésente, la présence de canis lupus quasiment vierge, et les mouvements de terrain fréquents, représentait une véritable survie pour les loups. Mais, aucun humain ne les aurait cherchés à cet endroit précisément pour tout ce qu'il avait comme aspects négatifs. Ce choix surprenant, au premier abord, fait jadis par le Shéker et Faroh s'était avéré très judicieux.

Lorsqu'elle sortit enfin du long tunnel, Kéra emprunta les escaliers qui menaient à l'extérieur. Etroits, ils ne permettaient pas de passer à plusieurs côte à côte et devaient permettre de ralentir au maximum de potentiels agresseurs. Dans la totalité du complexe qui servait de dortoir et de réfectoire aux loups, l'électricité n'était présente que par le biais de lampes solaires que les membres du groupe laissaient une partie de la journée dehors. A l'opposé, le centre de recherches, situé à une soixantaine de kilomètres de là, à l'orée de la forêt, était pourvu d'électricité, et était officiellement, pour les humains, une entreprise de fabrication de vêtements à la main, expliquant ainsi le taux élevé d'électricité consommée chaque mois. Maro, qui dirigeait ce centre, avait réussi à infiltrer la société humaine, notamment grâce à des lentilles de contact qu'il avait créées dans son laboratoire et était parvenu à monter un empire immobilier, dont les revenus élevés finançaient en grande partie les deux complexes. Très peu de loups avaient accès au monde humain, le plus souvent par peur d'être repérés et emmenés par les membres du projet militaire humain et leur travail se passait donc uniquement au sein du complexe, où ils vivaient en meute, ou dans le centre de recherches. Bon nombre d'entre eux étaient ainsi devenus d'excellents scientifiques, dont l'unique but était de créer une arme bactériologique ou virale contre les humains, avant que ces derniers n'en trouvent une contre eux. Chaque jour qui se déroulait était une lutte contre la montre, chaque heure passée engrangeait un peu plus de peur dans leur esprit, et chaque période de sommeil était rompue par les insomnies. Chacun d'entre eux le savait ; les membres de l'armée ne s'arrêteraient que le jour où ils trouveraient un moyen de les éradiquer et, chaque fois qu'un loup ne revenait pas, ce qui, fort heureusement, était de plus en plus rare, il y avait un risque qu'il ne devienne un cobaye pour les scientifiques humains. Pour cette raison, le Shéker avait décidé dix ans plus tôt, à la suite de l'enlèvement de l'ancien Phaïr d'Amérique du Nord, de donner à chaque membre de la meute, adulte comme enfant, un comprimé créé à partir d'une plante puissante, qui leur permettrait, en cas de kidnapping, de pouvoir se donner la mort. Il était dur pour la meute de devoir pleurer un de siens, mais il aurait été encore plus compliqué pour elle de savoir que ce loup était enfermé dans un laboratoire, subissant des expériences, et peut-être, un jour, provoquant la création d'une arme contre elle.