Dans l'Ombre de la Lune

Chapitre X : Retrouvailles / Partie 1

- Tu es certaine de ce que tu me dis ?, insista Lorou.

- Je ne suis pas stupide, Lorou. Je te dis que j'ai reconnu son odeur.

- Kéra, ça date d'il y a dix-neuf ans. Tu as peut-être oublié...

- Je suis sûre que non.

Lorou observa le loup, qu'ils avaient enfermé dans un cachot. Il y avait certes une ressemblance, mais comment sa promise pouvait être certaine que cet inconnu était en réalité Frobo. Il tira sur la manche de la jeune louve pour la trainer en dehors des prisons. Il était ravi de Kéra, elle avait pris la bonne décision en venant le trouver au centre de recherches avec leur dernière proie et le loup inconnu. Il avait ensuite amené ce dernier jusqu'au complexe, où il l'avait enfermé dans les geôles. A présent, tous deux devaient informer le Shéker du potentiel retour de Frobo et savoir quoi faire de lui.

Tandis qu'ils marchaient côte à côte dans le couloir, Kéra réfléchissait à ce que lui avait dit le loup. Il avait été enlevé enfant et retenu par les humains. Un seul cas d'enlèvement de louveteau existait et elle connaissait bien cette histoire. Elle ne savait si elle pouvait le croire mais, son odeur ne pouvait pas être changée. Elle l'avait reconnu, c'était bien lui. Après dix-neuf ans de séparation, le voilà qui entrait à nouveau dans sa vie. Son petit-frère, celui qu'elle n'avait pas pu sauver et qui avait été emmené en même temps que ses parents. Un louveteau de deux ans devenu un jeune loup de vingt-et-un ans.

- Nous y voici. Tu me laisses parler, d'accord, Kéra ?

Elle hocha la tête et, après approbation du Shéker, ils pénétrèrent tous les deux dans les appartements privés du chef.

- Kéra a ramené un loup inconnu, je l'ai enfermé dans les cachots. Il dit avoir été kidnappé louveteau par des humains et s'être échappé.

Tandis que son fils lui expliquait la situation, le Shéker leva les yeux vers lui et observa la jeune louve, qui semblait trépigner.

- Aurais-tu quelque chose à ajouter, Kéra ?

- Je sais qui est cet « inconnu ».

- Frobo, c'est ça ? Nous savons tous qu'il est le seul louveteau à avoir été enlevé...

- Père, nous devrions l'interroger. Nous saurons peut-être où sont enfermés les autres.

- Appelle Maro et dis-lui de nous rejoindre en bas. Nous allons questionner ce loup.

Alpha était assis dans sa prison et se remémorait tout ce que son deuxième maître lui avait expliqué. Il devait mentir à ces loups et les berner pour réussir à les piéger. Ainsi, son maître serait satisfait et lui confierait d'autres missions qui lui permettraient de revoir le jour et la douceur des caresses du soleil. C'était la seule chose qui lui importait désormais. Il avait goûté au bruit du vent dans les feuilles, à la chaleur de l'été floridien, aux chants des oiseaux et à la beauté des plantes. Il voulait continuer à profiter de ces bienfaits et, pour cela, il devait être obéissant.

Fatigué et affamé, il commençait à avoir du mal à réfléchir et se contentait de se répéter, comme une litanie, les paroles de ceux auxquels il appartenait. La cage dans laquelle il se trouvait était très spartiate, composée uniquement de toilettes sèches et d'un vague lavabo usé et rouillé, vers lequel il se dirigea pour s'humidifier. Méfiant, il n'osa pas tremper ses lèvres dans l'eau, craignant qu'elle ne soit pas potable, mais le contact avec le liquide lui fit quand même un bien fou.

Le bruit de la porte grinçante, située bien au-dessus de lui, le tira de son extase, et il se rassit, tentant, tant bien que mal, de calmer les pulsations de son cœur.

- Yiacha lorano tchoro wier, ordonna le Shéker.

- Je ne comprends pas..., balbutia Alpha en anglais.

- Raconte-nous ton histoire !

- J'ai été enlevé quand j'étais encore un louveteau par des humains. J'habitais dans le Wyoming avec ma famille quand c'est arrivé. Je n'ai jamais revu mes parents. Ils ont dû être mis dans une autre partie du laboratoire. Ils ont fait des expériences sur moi pendant toutes ces années et... j'ai réussi à m'enfuir peu après leur déménagement.

- Ils ont bougé quand nous avons remis la main sur eux, en Caroline du Nord, analysa Lorou.

- Comment es-tu arrivé jusqu'à nous ?, questionna Maro.

- Le laboratoire des humains est installé à environ... je ne sais pas trop...une vingtaine d'heures à l'ouest de l'endroit où j'ai croisé la louve.

- Cela voudrait dire qu'ils ont installé leur labo ici ?, interrogea Lorou.

- Oui, nous avons été déménagés il y a peu de temps et sommes arrivés ici.

Le Shéker mit un terme à cette discussion et décida de remonter dans ses appartements pour approfondir la conversation avec son fils et le Phaïr. Avant de partir, il concéda à Kéra, en remerciements du bon travail qu'elle avait mené depuis quinze jours en ramenant tous les cobayes, dix minutes de discussion avec le nouveau, toujours emprisonné.

- Te souviens-tu de tes parents ?

- Je ne sais plus trop. Je sais que ma mère avait une belle voix quand elle chantait.

- Petit loup, dors. Louveteau, les rêves t'accompagnent. La nuit te calme. La lune te garde et te regarde..., commença à fredonner la jeune louve dans leur langue natale.

Alpha la regarda, surpris. Cette louve avait la même voix que celle de sa mère, pour autant qu'il s'en souvenait. Il l'observa attentivement, tentant de reconnaître en elle une quelconque trace de son passé. Mais elle ne lui disait rien, il ne se rappelait que de très peu de choses avant d'avoir été dans le projet Moly. En fait, ses souvenirs n'étaient pas vraiment des souvenirs, mais avaient été enregistrés à force de radotage par le major général et le capitaine. La seule chose dont il savait avec exactitude que cela provenait de son passé, c'était la voix de sa mère. Cette voix qu'avait prise la jeune louve en face de lui pour chanter.

- Comment connais-tu cette voix ?, demanda-t-il.

- Parce que c'était celle de ma mère...

Il vit la louve se lever après cette révélation et s'éloigner de lui, en marchant doucement. Alors, s'ils avaient les mêmes parents, c'est qu'elle était sa sœur. Son entreprise serait d'autant plus aisée s'il était proche de quelqu'un, cette louve serait d'autant plus apte à le croire. Grâce à elle, il allait peut-être réussir sa mission.