Le Shéker était installé à son bureau, analysant des photographies de proies potentielles qu'un des espions lui avait confiées. Tous les humains présents étaient entre la Floride et la Géorgie, assez espacés les uns des autres et différents pour ne pas alarmer les autorités de cette espèce. Une quinzaine de personnes, un jeu d'enfant pour une tueuse aguerrie comme Kéra. A raison d'une personne enlevée par jour, il faudrait deux semaines à la jeune louve pour leur rapporter les proies, et ils pourraient commencer les nouveaux tests très rapidement. Son fils lui avait fait état d'une idée de virus, déjà en création, dont l'efficacité, s'il parvenait à le synthétiser, permettrait une extermination complète de la population humaine.
Le bruit à la porte coupa le vieux loup dans ses réflexions et, après avoir intimé l'ordre d'entrer, il vit son fils et la tueuse pénétrer son bureau. Il leur montra les deux chaises de l'autre côté de son bureau et attendit qu'ils furent assis pour expliquer à la jeune louve ce qu'elle aurait à faire pendant les jours qui suivraient.
- Tu sembles plus calme, Kéra. La leçon est-elle rentrée, cette fois ?
- Possible..., grogna l'intéressée.
- Tu m'en vois ravi ! Nous allons te laisser une journée de repos, je pense que tu en as bien besoin. Mais, avant cela, tu dois comprendre ce que nous attendons de toi ! Nous avons besoin de cobayes pour tester de nouveaux traitements. Les humains sont bien plus avancés que nous ne l'aurions cru. Voici les quinze personnes que tu vas devoir nous ramener !
Il tendit à la jeune louve les photographies, et poursuivit, tandis qu'elle les analysait.
- Tous habitent en Floride ou en Géorgie, tu n'auras donc pas trop de route à faire pour les récupérer. Geura les a espionnés assez longtemps pour pouvoir te donner des informations sur leurs habitudes de vie. Tu passeras le voir cette nuit avant de partir, il est au courant et t'attendra dans ses appartements.
Kéra ne répondait pas. Ses yeux étaient fixés sur une des images que lui avait confiées le Shéker. Son esprit était totalement absorbé par les yeux verts de l'adolescent qui semblait presque fixer l'objectif.
- Kéra ! Tu me réponds quand je te parle !
- Ce n'est qu'un enfant... Il n'a jamais été question de prendre pour cobayes des enfants. Et elle, ajouta-t-elle en montrant une autre photographie, quel âge peut-elle donc avoir ? Treize ans ?
- Ton travail n'a jamais été de déterminer qui seraient les cobayes, mais de nous les ramener. Je vais prendre cette remarque comme de la fatigue...
- Non, je ne suis pas d'accord ! Tuer des humains adultes, c'est mon travail ! Pas des enfants !
- Nous ne t'avons pas demandé de les tuer, mais de nous les ramener, Kéra !, rétorqua Lorou.
- Ce qui revient au même, vu les expériences que tu feras sur eux, avec Maro !
- Il suffit ! Tu sors de mes appartements immédiatement ! N'oublie pas, cette nuit, à vingt-deux heures, tu as rendez-vous avec Geura !
La jeune louve voulut répliquer, mais se retint à temps. Sa punition de la veille lui avait suffi, et elle ne voulait pas se voir apposer sur le corps un autre sceau, telle une esclave. Le Shéker était tout puissant par la faute des siens et cela ne risquait pas de changer.
Après avoir salué le chef, elle sortit et se dépêcha de rentrer dans sa chambre, afin de prendre une bonne douche qui lui permettrait d'ôter de son corps l'odeur pestilentielle des cachots et l'odeur de brûlé qu'elle sentait encore en elle. En plus, cela lui permettrait de nettoyer sa plaie et de voir l'étendue des dégâts.
Lorsqu'elle passa le savon sur la marque, elle ressentit un picotement, suivi d'une douleur intense qui traversa l'ensemble de son corps. Comme elle s'en était doutée, la plaie avait commencé à s'infecter et, même si la brûlure avait atténué le suinte, elle observait quelques écoulements de pus. Elle se rinça délicatement et sortit de la douche pour regarder son reflet dans le miroir. La marque était encore pire que ce qu'elle avait cru. D'environ six centimètres carré, elle prenait une bonne partie de sa hanche droite et ne serait jamais invisible quand elle serait une louve. La brûlure avait éliminé la totalité de ses poils, elle l'avait remarqué lors de sa transformation de la nuit précédente. Avec une apparence humaine, elle pourrait la masquer avec des vêtements, mais devrait à jamais faire une croix sur les pantalons taille basse qu'elle affectionnait particulièrement, tant pour leur malléabilité que pour le look qu'ils lui donnaient.
Elle s'allongea sur son lit en soupirant bruyamment. Si le Shéker avait obtenu une dictature, elle ne pouvait en vouloir qu'à sa meute. C'était la société des loups qui avait décidé, lorsqu'ils avaient eu peur pour leur vie, de donner les pleins pouvoirs à celui qui ne devait être qu'un chef temporaire comme tous ses prédécesseurs et d'en faire un dictateur. Il n'avait pas eu besoin de faire un coup d'état ou de truquer des élections. Il avait juste eu à être plus intelligent et à jouer sur les craintes de sa meute pour devenir celui qu'il était en toute légalité. Et, aujourd'hui, rares étaient les loups qui osaient se rebeller face à lui, à son fils ou à un Phaïr. Les sept Phaïrs actuels étaient des proches du Shéker et représentaient ses plus fidèles alliés. Les loups connaissaient tous cet état de fait et les rares qui osaient élever la voix contre cette situation se retrouvaient enfermés au cachot, torturés, et leurs proches menacés. Si quelques courageux avaient tenté de contrer ce système, ils avaient tous disparu ou étaient devenus beaucoup plus calmes après quelques périodes de prison. La rébellion était mâtée et le Shéker pouvait gouverner tranquillement.
Si Kéra n'avait tout d'abord pas compris pourquoi et comment les autres loups avaient fini par céder, après cette nuit, elle commençait à accepter que lutter ne servait à rien. Elle était seule parmi des centaines de loups à la solde du Shéker et du Phaïr. Un seul loup ne pourrait pas changer la donne. Aucun autre membre de sa meute ne voulait se révolter, soit par haine des humains, soit par embrigadement depuis la naissance. Peut-être était-elle née trop tôt, et qu'un autre prendrait les rênes d'un combat, aujourd'hui impossible, dans quelques dizaines d'années, renversant cette dictature ? Elle l'ignorait mais, ce matin-là, elle savait que ce héro ne serait pas elle. Elle l'avait compris, et avait fini, douloureusement, par l'accepter. Elle devait arrêter cette rébellion qui coulait dans ses veines depuis plus de dix ans, elle avait décidé de vivre sa vie de louve tueuse, promise au futur Shéker, comme on l'avait décidé pour elle... et comme elle n'en avait jamais voulue.
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Dans l'Ombre de la Lune
WerewolfKéra est une louve, autrement appelée par les humains « loup-garou » ou « lycanthrope ». Kidnappée pendant son adolescence à des fins expérimentales par un projet secret humain, elle a, depuis sa fuite, nourri une rancœur et une envie de vengeance s...