Chapitre XVII : Complots / Partie 3

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Kéra sortit de sa chambre et fut, une fois de plus, surprise du peu de monde qui se trouvait dans le complexe. Une partie des loups était partie aider le Shéker à la construction d'un nouveau complexe, dont elle ignorait encore le lieu exact. Tout ce qu'elle savait, c'est qu'il se situait dans l'hémisphère Sud, et que sa construction était presque terminée. Elle ne comprenait pas comment cela avait été possible en si peu de temps. Un complexe et un centre de recherches tels que ceux dans lesquels ils vivaient actuellement avaient mis plusieurs longs mois avant d'arriver à finition.

Elle traversa le long couloir bétonné en soupirant. Malgré tous les mauvais moments qu'elle avait vécus dans cet endroit, elle avait l'impression qu'elle allait regretter ce lieu qu'elle détestait tant. Elle le connaissait, elle avait appris à l'apprivoiser, cela faisait dix ans qu'elle vivait là et elle y avait pris ses habitudes. En arrivant dans un des réfectoires, elle fut surprise de constater qu'aucun louveteau ne s'y trouvait, alors que c'était l'heure à laquelle ils étaient censés manger le matin, juste après le départ des adultes pour travailler au centre de recherches. Elle attrapa de quoi se restaurer et décida de se rendre au centre pour percer le secret des tests de Lorou, qu'elle n'était toujours pas parvenue à découvrir. Tout en marchant sous le soleil d'été de Floride, elle mangeait ses morceaux de viande séchée. Depuis que Maro était revenu la veille, elle était libérée de la gestion du complexe et pouvait recommencer son enquête.

Tandis qu'elle marchait, ses pensées étaient accaparées par Nathanaël. Elle n'arrivait pas à l'oublier, il hantait toutes ses nuits, et les cauchemars qu'elle faisait mêlaient à présent l'homme à Faroh. Elle imaginait qu'il lui arrivait le même sort qu'à l'ancien Phaïr d'Amérique, et cela l'angoissait bien souvent. Elle ne savait pas si c'était cela le sentiment que les humains nommaient « l'amour » mais le stress qu'engendrait cet état ne lui plaisait absolument pas. Elle avait besoin d'être au top de sa forme pour comprendre et déjouer les plans de son peuple, et le fait d'être en partie obnubilée par le capitaine Svensson ne l'aidait pas. Pour la première fois depuis plus de dix ans, elle avait peur. Ce sentiment, qu'elle avait appris à contrôler avec son métier, refaisait surface et la ramenait à l'époque où elle avait perdu celui qui l'avait élevée. Bien souvent, lorsqu'elle partait en mission, la crainte de ne pas rentrer indemne, ou de mourir, était surpassée par l'adrénaline qui envahissait chaque partie de son corps. Mais, aujourd'hui, ce n'était plus sa seule vie qui était en cause, mais celle des amis qu'elle s'était découverts.

Elle pénétra dans le centre de recherche, traversa le hall fleuri avant de prendre l'ascenseur caché et de descendre au niveau des laboratoires. Après avoir avancé dans le long couloir, elle bifurqua à gauche et fut arrêtée par deux gardes, devant la porte du projet F.

- Tu n'as pas le droit de passer, Kéra.

- Comment ça ? Je viens voir Lorou. Dois-je te rappeler que je lui suis promise ?

- Ce sont les ordres. Aucun loup ne peut pénétrer dans cette partie du laboratoire !

La jeune louve rumina et hésita quelques instants sur ce qu'elle allait faire. Ne se laissant pas démonter, elle insista :

- Va me chercher Lorou. C'est un ordre !

Le garde s'exécuta, laissant son collègue avec la jeune louve, et elle vit arriver celui auquel elle était promise quelques minutes plus tard, étonné de l'apercevoir. Aussitôt, il mit sa main sur son épaule et l'entraina à l'écart des regards des deux gardes qui, déjà, fixaient le couloir devant eux.

- Que fais-tu ici, Kéra ?

- Je ne comprends pas. Où sont les louveteaux ? Je ne les ai pas vus ce matin...

Lorou eut un sourire élargi et prit les mains de la jeune louve, les portant à son cœur.

- Tu as enfin l'âme d'une future mère...

Kéra se retint de lever les yeux au ciel, ne voulant pas trahir le sentiment de dégoût que lui infligeait le loup et la stupidité de sa logique.

- Où sont-ils, Lorou ?

- Ils sont rassemblés. Leur départ pour le nouveau complexe aura lieu demain matin, avec quelques adultes pour les encadrer. Ils devraient tous arriver d'ici demain soir, et seront rejoints des autres.

- Les autres ?

- Oui, nous réunissons la Grande Meute en un seul endroit.

- La Grande Meute ?, demanda Kéra, intriguée. Mais, pourquoi ?

- Mon expérience arrive à son terme, Phaka devrait être déclenché d'ici une quinzaine de jours. Maro repartira avec bientôt.

- Mais quelle est cette arme ?

- Tu veux vraiment le savoir, ma beauté ?, questionna le loup en prenant Kéra à la taille. Tu sais que le changement de lune est pour cette nuit... Si tu es sage, tu auras peut-être des informations...

Kéra se laissa faire et accepta les caresses maladroites et trop insistantes de Lorou, se rappelant de ses quelques nuits d'amour avec Nathanaël pour faire passer ce moment désagréable. Elle voulait sauver l'homme et Angeni de la folie meurtrière des siens et si, pour cela, elle devait passer par l'accouplement avec le loup, alors tant pis pour son amour propre, elle le ferait. Son amie humaine avait elle-même eu recours à ce subterfuge, alors que le sexe masculin la dégoûtait et, même si Kéra n'avait pas encore compris toutes les subtilités de l'homosexualité humaine, elle savait qu'il était de son devoir de s'accoupler avec celui auquel elle était promise. L'amitié, et peut-être même l'amour, valaient bien quelques sacrifices. Ce soir, elle paierait de son corps ses convictions mais, pour la première fois depuis très longtemps, elle avait l'impression d'avancer dans la bonne direction. 

Dans l'Ombre de la LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant