Chapitre 64

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🌑

La tête dans les bras, sur mon bureau, les yeux fermés, je laisse le temps passer. Je veux rentrer. Je deviens dingue de cet endroit. Je veux retrouver les autres, partir sur la côte avec eux, passer tout ce temps libre que j'ai en leur compagnie. Je veux tout oublier, faire comme si jamais rien de ce qui m'a amenée ici ne s'était passée.

Avant-hier, je suis allée diner chez Pierre comme il était prévu. Sa femme porte déjà leur enfant depuis plusieurs mois, quasiment au terme de la grossesse, mais elle est pourtant magnifique. Elle n'a pas montré le moindre signe de fatigue ou de faiblesse. Ils habitent une maison de ville à quelques rues de l'auberge. Elle est plutôt belle elle aussi. Tous les deux, ils vendent un peu le rêve que quiconque pourrait avoir d'une vie paisible et ordinaire. Nuit s'est bien comporté. Ça aurait dû me faire du bien au moral de ne pas diner seule ce soir-là, mais je les enviais tant que ça a eu tout l'effet inverse.

J'ai passé la nuit dernière à signer les papiers que je suis passée prendre aux pompes funèbres, et j'ai fini par m'endormir sur le bureau. Ça fait longtemps que je suis réveillée, mais je n'ai ni sorti la tête de mes bras, ni ouvert les yeux. Plongée dans la nuit que me permettent encore mes volets et rideaux fermés, je ne veux pas bouger. Je n'ai aucune raison de bouger. Même Nuit qui miaule à mes pieds n'arrive pas à me donner une raison de me lever.

- Ça suffit Nuit... marmonné-je. Pas maintenant.

Mais il ne s'arrête pas. Et ses miaulements se confondent avec le rêve de ce que je serai en train de faire avec les autres si j'y étais. Je suppose qu'on serait en train de prendre le petit-déjeuner. Mal réveillé, Jean marmonnerait dans sa barbe de se calmer aux autres. Sasha aurait déjà terminé son repas, et essaierait de me soustraire ma part de pain et de confiture. L'endroit serait un peu bruyant, tout le monde y serait. Il y aurait des rires, des débats, des discussions en tous sens. Moi, peut-être que je sourirais en partageant mon repas avec eux.

Doucement, pour me forcer à sortir de mon cocon, Nuit m'appelle de sa patte sur ma jambe. Mais je ne bouge pas. Je sens son regard sur moi. Je n'ai aucune force.

J'aimerais retourner loin dans le passé, à cette époque ou tout le monde était encore en vie, et où je ne m'inquiétais que de la tenue que je mettrais pour aller à l'école. Je me souviens que Noah m'aidait souvent à choisir, et qu'on se faisait parfois gronder parce qu'on ressemblait plus à des clowns que des enfants. J'aimais quand ma mère me tressait les cheveux le matin. Elle les attachait en deux nattes qui retombaient sur mes épaules. Mon père m'appelait « ma petite hippie » quand elle me coiffait comme ça. Moi, j'adorais quand il me surnommait comme ça. Parce que j'étais sa petite hippie, et qu'il était « mon petit papa ».

Quand on allait chez nos grands-parents, on avait le droit de veiller jusqu'à tard le soir. Un été, on avait même eu le droit de camper dans le jardin. Pour nous, c'était comme si on dormait dans une forêt immense, et qu'une aventure invraisemblable allait commencer le lendemain. 

- Mademoiselle Harris, vous avez du courrier, me dit-on juste après avoir toqué à ma porte.

En soupirant, je me lève de ma chaise, forcée de sortir de ma bulle. Je récupère la lettre en remerciant l'homme venu me la déposer, j'ouvre mes rideaux et mes volets, et je me pose sur mon lit. Je déchire le haut de l'enveloppe, et me hâte à la lecture de la réponse d'Hange.

Ils vont bien. Ils sont bien arrivés sur la côte, et sans grande surprise il n'y a rien à signaler pour l'instant. Elle me dit de suivre mon cœur, et faire comme je le sens concernant la proposition de Pierre d'aller voir mes grands-parents. Mais elle m'y pousse un peu, en me disant que je ne pourrais plus le faire une fois que les obsèques seront passées.

27 et une émotions (Livai/Levi x OC)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant