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J'hurle à m'en déchirer la voix et les poumons quand Jean m'attrape pour me forcer à monter dans l'hydravion dont le moteur rugit déjà. Je tente d'en ressortir, sans réussir à me libérer de son emprise. Livaï est le dernier à monter à bord. Le grand terrassement nous frôle presque. Hange est encore en train de se battre de toutes ses forces pour le ralentir. Ma vision est si trouble que je la distingue à peine dans toute la foule de titans. Je perds pieds au moment où Onyankopon nous dit qu'on décolle.
Livaï ferme la porte juste une seconde après, m'empêchant de continuer à regarder Hange. Je suis loin d'être la seule à hurler de douleur. Et pourtant, je n'entends que le déchirement de ma voix. Je refuse que ça se passe comme ça. Je refuse qu'elle y soit allée à ma place. Je ne comprends pas comment tous ont pu se laisser convaincre par elle. Pourquoi personne ne l'a retenue ?
Je m'effondre à genoux. Je n'y arriverai pas. Je n'arriverai pas à lui pardonner ce choix. Je comprends maintenant la raison pour laquelle Livaï m'avait rattrapée quand j'avais sauté du mur. Elle le voulait, au plus profond de son être, elle voulait mourir. Elle cherchait juste une façon pour se tuer héroïquement, à la manière dont elle avait vécu depuis toujours. Je m'en suis aperçue bien trop tard. Quand j'ai compris il y a quelques jours que son esprit était parcourue d'idées sombres, il était déjà bien trop tard.
Je ne sens plus rien, ni la douleur de mes blessures, ni la vitesse que l'hydravion prend pour quitter la surface de l'eau, pas même le bout de mes doigts ou le tissus de mes vêtements sur ma peau. Je suis transportée ailleurs, comme ce soir-là à Révélio où je ne suis pas rentrée. Ce n'est pas un cauchemar, c'est bien réel. J'ai un peu faux. Il y a quelque chose que je sens, c'est cet affreux poignard qu'on me plante en plein cœur et qu'on remue en prenant du plaisir à me voir me vider de mon sang.
Je n'avais pas vraiment envie d'y aller, me sacrifier me laissait peut-être un arrière-goût amer dans la bouche, mais perdre Hange est mille fois pire que de perdre la vie. Perdre encore, une nouvelle fois, un membre de ma famille... je n'y étais pas préparée. Pourtant, mon cerveau avait essayé de m'alerter, de m'y préparer pour que le jour ne soit pas trop difficile. Mais je n'aurais jamais cru que ça se finirait comme ça.
Je l'ai laissée partir. Je l'ai laissée s'en aller vers la mort, sans savoir quoi lui dire pour la retenir, et me laisser moi m'en aller. Je l'ai laissée faire, impuissante. Je n'ai même pas été capable de lui dire tout ce que j'avais à lui dire. J'avais encore des tonnes de choses à lui raconter, des milliards d'histoires à lui partager, des centaines de nouvelles choses à lui apprendre. Je nous revois, toutes les deux la nuit, étudiant ensemble les livres scientifiques traitant sur les émotions et les titans. Pourquoi est-ce qu'à l'époque je n'ai pas plus profité de la chance que j'avais de partager ces moments anodins à ses côtés ? J'ai la sensation qu'une immense injustice pèse sur mes épaules. L'injustice qui pesait sur les siennes depuis bien longtemps. La vie n'a pas été juste avec elle. Elle était merveilleuse, elle méritait la lune. Elle méritait d'être heureuse, de pouvoir vivre après la fin de la guerre. Elle méritait bien plus que moi. Elle méritait de vivre, et d'avoir envie de vivre. Elle n'avait même probablement pas conscience de la personne qu'elle était.
C'est impossible... C'est impossible qu'elle s'en aille comme ça. Elle ne peut pas mourir de cette façon, pas calcinée puis écrasée par le grand terrassement. Mon souffle s'accélère. Mes poumons se rétractent, jusqu'à complètement refuser de prendre l'air que je pourrais essayer de leur envoyer. On continue de retourner, encore et encore, le couteau qu'on m'a enfoncé en plein cœur. Tout s'effondre dans ma tête. Je perds peu à peu la raison du monde. J'en perds même mon identité, celle que j'ai forgée depuis des années, qui meurt avec Hange aujourd'hui. Je ne sais plus. Je ne sais pas si j'ai encore la force de me battre, de voir mes proches mourir tous les uns après les autres. Je ne sais même pas si je suis capable de quoi que ce soit. Je me sens impuissante, aussi frêle qu'un agneau qui essaierait de défendre sa mère du loup qui attaque le troupeau. Je n'ai jamais été suffisamment forte pour combattre quoi que ce soit seule. Je n'ai jamais pu empêcher personne de s'envoyer à la mort. Je n'ai pas servi à grand-chose, au fond. Je n'ai pas pu la retenir. Je n'ai pas su trouver les mots justes pour lui redonner l'envie de vivre. Mais maintenant qu'elle s'en est allée, qu'allons-nous tous devenir ?
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27 et une émotions (Livai/Levi x OC)
Fiksi PenggemarComment deux êtres en train de se noyer pourraient-ils se sauver l'un l'autre ? Quant bien même ils s'aimeraient suffisamment fort, l'un finirait par se sacrifier pour sauver l'autre. Peu importe leurs efforts pour nager main dans la main jusqu'à la...