Chapitre 38

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🌑

Le soir au repas, je ne parle pas une seule fois, alors que Noah et les autres rient de tout et de rien. Je mange d'ailleurs en dix minutes, même pas la moitié de mon assiette, et en prenant pour excuse que je ne me sens pas bien, je remonte. Sous la douche, je tente de chasser toutes les pensées qui font divaguer mon esprit dans des cauchemars éveillés, sans y parvenir. A tel point que j'en perds la notion du temps, et que j'en ressors quand la nuit est tombée, alors qu'il faisait encore jour quand j'y étais entrée. J'essaie d'aller dormir, mais je me retourne sans cesse dans mon lit, transpirante et haletante, ne supportant pas les cauchemars qui m'attendent pour la nuit.

J'ai pris sur moi pour revoir ce premier homme que j'avais eu à servir quand j'avais douze ans. Et les conséquences n'ont pas tardé à pointer le bout de leur nez. Je savais que cette nuit-là serait une nuit sans. Alors j'abandonne l'idée de pouvoir me reposer, et je sors, une bouteille d'alcool volée dans la réserve à la main, et un verre dans l'autre, pour aller boire et observer la lune à l'extérieur.

Voilà comment je me retrouve ici, assise sur les marches dans la cour de la caserne, le regard vers le ciel, à prendre une gorgée régulière de vin.

Cette idée soudaine de faire tomber l'orphelinat, je l'ai prise entièrement à cause de Livaï. Le fait qu'il défende corps et âmes une cause concernant son enfance m'a poussée à me dire que j'en avais moi aussi les moyens. En soit, j'avais envie de faire un peu comme lui. D'une certaine façon, je me voyais être un peu utile à ce monde. Peut-être y avait-il une part d'égoïsme dans mon intention ? Mais je me souviens l'avoir dit à Pierre, on n'agit jamais que pour les autres. On le fait toujours au moins un peu pour soi-même. Et je ne fais pas exception à la règle.

Le problème était que mon témoignage serait démenti aussitôt qu'il aurait été reçu, sans oublier mon incapacité de parler de ça à quiconque, y compris un officier. Savoir aussi que j'aurais à subir des examens gynécologiques pour confirmer ce que j'aurais avancé me repoussait encore plus. Je ne voulais pas agir en victime, mais en défenseuse d'une cause grave. C'est pour ça que j'avais pensé à cet homme, qui avait arrêté cette horreur des années auparavant. Je savais que ma proposition de le blanchir serait une raison suffisante pour le convaincre. Prendre le risque de le mettre dans la confidence de ce que je souhaitais entreprendre est un sacré pari. Mais à mes yeux, il n'y a que comme ça que je pourrais faire quelque chose. Toute seule, il n'est pas possible que je ne puisse ne serait-ce qu'envisager d'entreprendre de telles accusations.

Néanmoins, je n'ai pas prêté attention à moi-même. J'étais si obsédée par cette idée de faire le bien, que je me suis engagée dans quelque chose qui me fera du mal. Et voilà pourquoi je suis ici, à boire comme une alcoolique sans abris, et songer encore et encore à ce qu'il s'est passé depuis des années, tout ça malgré moi. Mais tout ça me parait bien moins insignifiant. Ça ne change rien à d'habitude en soit, c'est toujours régulièrement comme ça. Il y a des hauts, des jours où tout va bien, où je parviens à vivre normalement sans y repenser, et il y a des bas, encore beaucoup de bas, ces jours où rien ne va. Ces jours où je dois contrôler la moindre de mes réactions. Ces jours où je suis à l'affut de tout ce qui m'entoure, et où personne ne peux m'approcher de trop, y compris Noah, Hange, et les adolescents. Ces jours-là, je les déteste. Et encore plus quand ils empiètent sur ma nuit comme aujourd'hui.

- C'est nouveau ça ? Tu bois toute seule en pleine nuit maintenant ?

Encore une fois, pour la millième au moins depuis que je suis au bataillon, je sursaute quand je l'entends me parler. Parce que je ne l'ai pas entendu arriver.

- Tu veux un verre ? Il est pas mal celui-là. Le degré d'alcoolémie est pas très élevé par contre, tu seras même pas pompette, lui dis-je en me tournant vers lui.

27 et une émotions (Livai/Levi x OC)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant