Chapitre 1 (2/4)

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Je me penchai sur le volant pour mieux apercevoir les alentours. C'était un spectacle ravissant, bien différent de celui qu'offrait les buildings de Chicago, mais une lourdeur étrange pesait sur les lieux, le rendant hostile.

Les plaines s'étaient dissipées, laissant place à des tonnes et des tonnes de conifères. Les longs troncs minces s'étalaient à perte de vue, rendant les horizons aussi sombres que le plumage fourni d'un corbeau.

Jetant un coup d'œil de chaque côté, je restai perplexe. Un brouillard dense s'était levé et je ne parvenais plus à discerner l'horizon sur plus de quelques kilomètres. Il n'y avait qu'une pauvre route, et elle se dirigeai droit vers cette forêt aux allures terrifiantes. Ça va être super.

Sur l'asphalte défoncé, les roues nous rapprochaient de plus en plus de cette rangée d'arbres qui s'élevaient vers les cieux tels des piques sinistres. Il ne manquait plus que des têtes plantées aux extrémités pour que le message soit clair. Faites demi-tour ! Des alarmes se déclenchaient dans mon cerveau à mesure qu'elle je me rapprochais de ce mausolée. Le mot « Dégagez ! » y même brillait en lettres capitales.

Néanmoins, un rictus d'excitation étira mes lèvres, et je poussai la pauvre Dacia dans ses retranchements en accélérant.

Quand la voiture s'immisça dans cette intimité particulière, la luminosité baissa brutalement, et les lumières du tableau de bord s'éveillèrent. Dans le rétroviseur central, l'orée de la forêt s'éloignait, ne formant plus qu'un point argenté à mesure que je m'enfonçais dans les entailles de ce monstre végétal. Le silence était encore plus pesant ici, le moindre bruit venant mourir sur les épines mortes visibles çà et là.

Pour m'en assurer, je fis descendre la fenêtre en tournant une vieille manivelle. Quelques centimètres à peine suffirent au froid glacial pour se faufiler dans l'habitacle, et seul le bruit étouffé du moteur se fit entendre. Un nuage de vapeur se formait devant mon visage quand j'expirais.

Je remontai la vitre en frissonnant. Cette forêt ne m'inspirait vraiment pas confiance.

Puis quelque chose sur le côté attira brusquement mon regard.

Mais le mouvement fut trop bref pour pouvoir l'analyser. Une tâche noire, rapide. Tiens, tiens.

— Pas si seule que ça, on dirait.

Sous la neige qui faisait ployer les branches, on devinait les épines des pins, seule touche de couleur dans ce paysage hivernal. Si quelqu'un me pistait, la multitude d'arbres offrirait un choix de cachette idéal. Et l'avantage ne serait pas pour moi. Parce que quelque chose me suivait bel et bien, j'en étais presque sûre.

Les forêts étaient toujours silencieuses quand un gros prédateur investissait les lieux.

En suivant la carte, je fus soulagée de voir que j'étais presque arrivée à destination.

Mais au soudain cahot qui me secoua, je me rendis compte que la route avait laissé place à un chemin caillouteux. À la place de la Dacia, j'aurais croisé les doigts devant le destin qui se dessinait pour elle. Méfiante et trop obnubilée par l'extérieur, j'avais cessé de regarder devant moi. J'étais une conductrice vraiment médiocre. Bouh-ouh, ça fait mal.

Je remarquai que les pierres étaient recouvertes de neige, et que le passage semblait avoir été laissé à l'abandon. Ici, les arbres semblaient avoir repris leurs droits, et des branches griffaient les fenêtres à mesure que je me frayais un passage. Une chair de poule désagréable hérissa ma peau. C'était comme si des bras squelettiques refusaient de me laisser pénétrer sur ce territoire, tentant par tous les moyens d'entraver mon avancée.

Mes yeux étaient partout. Si on me pistait réellement, ce serait le moment idéal pour me tomber dessus. Le délire restait aussi une option. C'était peut-être juste un cerf ?

Sur la carte, le trait rouge s'arrêtait au bout de cette allée.

Les suspensions de la Dacia étaient inexistantes, et le siège aussi dur qu'une planche en bois. Les dents serrées, je pris son mal en patience. Un cliquetis inhabituel résonna dans l'habitacle, et mes sourcils se haussèrent. Un truc venait de sauter sous le plancher. Bêtement, je baissai les yeux sur le tapis de moquette usée, comme si je pouvais voir au-travers.

Je grimaçai en jetant un coup d'œil dans le rétroviseur.

Une pièce noircie et fumante trônait au milieu de la route, joliment encadrée par les traces des pneus dans la neige.

— Fais chier.

Du liquide coulait, et le serpentin s'élargissait à mesure que la voiture avançait. Pour ne pas risquer de faire exploser la Dacia, je coupai les gaz. Le chemin était si étroit qu'il était impossible de garer la voiture sur le bas-côté – il n'y en avait pas. Je la laissai donc là où elle était, et me risquai à braver le froid extérieur, ouvrant la portière avec précaution.

Le soudain silence, ponctué par le sifflement du vent dans les branches biscornues, me mit mal à l'aise. Les cheveux sur ma nuque se hérissèrent.

Les chevilles enfoncées dans la neige, j'enviai Élé et sa fameuse mission au Texas. Avec Tracy, en plus.

Contournant le véhicule fumant, je donnai un coup de pied dans la roue la plus proche. Ça ne me soulagea pas, je n'eus pas plus chaud, mais cela semblait de rigueur.

Dans le coffre, je trouvai un plaid et, par miracle, une paire de chaussures de randonnée. Je m'enroulai dans le tissu rêche avec reconnaissance, et troquai mes escarpins ridicules contre les godillots. Ils étaient loin d'être à ma taille, mais c'était le moindre de mes soucis.

Vu ma tenue complètement risible, je n'étais plus à ça près. J'insultai de nouveau Jasper dans ma tête.

Emmitouflée dans la couverture, je continuai le chemin à pied. Une barrière sommaire en bois barrait la route. Dans un morceau d'écorce, les mots « PROPRIÉTÉ PRIVÉE – DÉFENSE D'ENTRER » étaient gravés.

Les sourcils haussés, je me baissai pour passer en dessous.

Sortir les griffes T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant