Chapitre 21

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C'est la douleur, sourde et lancinante, qui me fit revenir à moi. Elle pulsait à-travers mon corps comme en symbiose avec mon rythme cardiaque. Et les gémissements inquiets de ma louve n'aidaient en rien à calmer mes maux de têtes. Bien pires qu'un lendemain de soirée avec Mæve !

Mon premier réflexe fut de porter la main à l'arrière de mon crâne pour vérifier qu'il ne manquait pas de morceaux, mais quelque chose stoppa mon geste en plein mouvement.

J'ouvris une paupière en gémissant, et refermai aussitôt les yeux. Une menotte me cerclait le poignet, et celle-ci était reliée à une chaîne en métal. Je n'avais pas eu le temps de voir à quoi les maillons étaient eux-mêmes raccordés, mais j'avais une brève idée du topo.

— Quel petit enfoiré, marmonnai-je en me redressant sur un coude.

Je m'immobilisai en sentant la bile investir ma bouche. Même paupières fermées, j'avais la terrible sensation de voir des éclairs lumineux derrière mes rétines. L'impression qu'on avait broyé ma boîte crânienne avec un pilon ne me quittait pas.

Il me fallut quelques minutes pour retrouver complètement mes esprits.

L'inquiétude de ma louve s'apaisa un peu lorsque je parvins à m'assoir sans vomir ni tituber.

Je n'avais aucune idée du temps qui s'était écoulé, mais la nuit était noire à l'extérieur, et il n'y avait pas âme qui vive à la ronde.

Mes narines se retroussèrent devant l'odeur âcre de magie qui incrustait les lieux, suintant des murs et remontant du sol en terre battue sur lequel j'avais été négligemment jetée.

En attendant que mes yeux s'habituent à l'obscurité, je fis remonter mes mains le long de la chaîne en métal qui me retenait prisonnière. Elle était simplement accrochée au sol, mais une partie dure entourait sa base, comme si du ciment ou quelque chose de magique y avait été versé pour la consolider. Je tirai dessus de toutes mes forces, mais rien n'y fit : les maillons ne montrèrent aucun signe de faiblesse.

Abandonnant temporairement l'idée, j'observai les lieux.

La puanteur qui saturait l'air ne laissait nul doute possible ; je me trouvais dans le repère de notre coupable. Qu'Erwen soit mêlé de près ou de loin à cette histoire me laissait un goût acide dans la bouche – j'aurais dû écouter mon instinct lorsque les alarmes avaient retenti dans mon crâne le soir des obsèques de Dave.

Ce gamin avait attiré mon attention avec son comportement suspect dès notre première rencontre. Tout le long de la soirée, il n'avait cessé de jeter des coups d'œil méfiants partout, comme pour surveiller ou attendre quelqu'un. En douce, je l'avais vu glisser une pomme dans sa poche et s'éloigner.

En repensant à cette scène, je maudis mon incompétence sporadique.

Au dernier moment, il avait modifié sa trajectoire pour donner le fruit à la jument de Dave. Mais était-ce seulement son animal ? Sans doute comptait-il l'apporter à sa complice trouvée dans les bois, mais il avait jugé bon d'employer la ruse pour ne pas éveiller mes soupçons.

Et, bordel, tout ceci avait bien fonctionné. Sale petit enfoiré.

Peut-être était-il manipulé par la femme que je présumais être la sorcière, mais j'émettais de sérieux doutes sur cette théorie.

Une fois mes yeux adaptés à la noirceur environnante, j'observai les lieux où l'on avait jugé bon de m'enfermer. Des odeurs de feuilles et d'herbes séchées se mélangeaient à celle de la magie, et je ne mis pas longtemps avant d'en trouver la provenance : des bocaux débordaient sur une étagère.

— Pas une étagère, murmurai-je en remarquant les détails de la pierre. Une grotte.

Tout autour de moi n'était que roche. En grattant la couche de terre sur laquelle j'étais assise, mes ongles en rencontrèrent aussi ici.

Dans le coin le plus reculé, mon regard fut attiré par un tas de paille, aplatit par endroit comme si quelqu'un y dormait régulièrement. Un peu partout, des bougies abandonnées, posées çà et là, trônaient.

Je tirai une énième fois sur la chaîne, mais elle était scellée bien trop profondément dans la roche pour que je puisse en tirer quoi que ce soit. Dans l'immédiat, une seule autre idée me vint à l'esprit.

En me contorsionnant, je parvins à atteindre du bout du pied la paillasse. Je donnais un coup dedans et m'étirai jusqu'à en rassembler assez pour obtenir une bonne poignée.

Je glissai la paille sous la chaîne en métal et attrapai le poignard caché dans ma botte. Heureusement que ces gamins étaient des amateurs, c'était le premier endroit qu'ils auraient dû fouiller. Je n'étais pas certaine que cette technique allait marcher, mais je ne visualisais pas d'autre idée pour le moment.

Enfonçant la pointe de la lame au centre d'un maillon, je fis en sorte de placer le manche bien à la verticale. De mon autre main, je frappai de toute mes forces sur le pommeau, dans l'espoir de briser le métal.

Malheureusement, rien n'y fit, la chaîne ne bougea pas. N'abandonnant pas, je recommençai encore et encore.

Il ne se passa rien jusqu'à ce qu'une étincelle apparaisse furtivement. Oui ! Encore plus furieusement, je réitérai mon geste. Une autre apparue, et encore une autre, et je continuai jusqu'à ce que la paille en dessous s'embrase.

Je m'éloignai du petit feu qui n'allait pas durer longtemps, et hoquetai lorsque des flammèches s'élevèrent dans les airs, effectuant des cercles parfaits au-dessus de la flambée.

De surprise, je retombai en arrière et mes sourcils se haussèrent. L'air était tellement saturé de magie que même les éléments y réagissaient !

Quand les flammèches se projetèrent sur moi, je ne pus que me jeter au sol. Je les sentis passer juste au-dessus de ma tête. Quelques-uns de mes cheveux y passèrent aussi.

La soudaine luminosité de la pièce me fit me redresser. Je fus tellement surprise de voir toutes les bougies allumées, que je ne fis aucun geste lorsque le feu consuma toute sa paille et qu'il mourut.

La magie serait vraisemblablement toujours aussi imprévisible. Mais pourquoi pas, pour ce coup-là.

J'allais recommencer à cogner sur mon poignard pour briser la chaîne, quand je me figeai en regardant le mur à ma gauche.

Des pentagrammes y avaient été tracés à la craie. Une trace rouge barrait leur centre, comme pour y recouvrir un mot.

Je plissai les yeux devant ce qui ressemblait à un « E ».

Et lorsque je compris enfin, je jurai en silence, la voix coupée.

Cette lettre était celle du prénom Dave, et la trace rouge et coulante qui le recouvrait était sans aucun doute du sang. Peut-être même celui du bouc disparu.

À ses côtés, un autre pentagramme au nom complètement recouvert me laissait deviner que celui-ci avait été celui de Nathalie, la première victime. Je secouai la tête et cherchai du regard celui de Tina. À la place, je butai sur celui de Louis, l'homme que nous avions pu ramener à son état normal en inversant le processus.

Je trouvai celui de Tina sur le mur opposé, et expirai en remarquant que personne n'avait encore rayé son prénom. Les lettres dansaient devant mes yeux, et je me fis la promesse de sortir mon amie de ce pétrin avant de quitter les lieux – et au diable Dorian et sa faiblesse quant à mon charme.

Cependant, je me figeai et mon cœur rata un mouvement en trouvant un autre pentagramme, au-dessus du lit en paille.

Il était bien plus gros que les autres, et il n'avait pas été réalisé à la craie. Le sang frais et dégoulinant portait encore des traces de doigts, comme si la personne qui l'avait tracé avait plongé ses mains dans un sceau entier avant de les écraser rageusement contre la pierre.

En son centre, le nom de Dorian figurait en lettres capitales.

Sortir les griffes T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant