Chapitre 27 (3/3)

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Je n'eus pas le temps de bouger, de crier, d'émettre le moindre son ou de me défendre ; ses dents se refermèrent sur mon épaule.

Sous le feu de la douleur, je crus que j'allais rendre les armes et m'évanouir. Il n'en fut rien, et je me cabrai en m'égosillant. Ma tentative pour le repousser fut veine, et je serrai les dents en endurant.

Malgré ma conscience oscillante, je réalisai que mon bras venait de buter contre quelque chose, et je tâtonnai sur le côté pour essayer de le retrouver. Je sus ce que c'était lorsque mes doigts épousèrent à la perfection le manche poli.

En fermant les yeux, je levai le bras.

Malgré mon hésitation, le déchirement de mon cœur et en imaginant la peine que ressentirait Dorian, je ne tremblai pas.

Le poignard siffla en cinglant l'air.

Pourtant, la lame s'arrêta au dernier moment en frôlant la fourrure drue, comme si une force invisible m'empêchait de terminer mon geste, paralysant mes muscles en engourdissant mon bras.

Comme si le manche était soudain devenu brûlant, j'ouvris les doigts pour le lâcher. La lame se planta juste à côté de mon oreille, s'enfonçant dans la terre comme dans du beurre.

Puis une chaleur remonta du plus profond de mon âme, et je crus que cette fièvre aurait raison de moi. Mon heure était venue. On renverrait ma dépouille à la Guilde et Jasper pesterait devant la paperasse que ma mort lui incomberait.

Je me concentrai sur la chaleur qui enflait petit à petit en moi, se diffusant à partir de mon épaule, là où ses dents me lacéraient. Juste sous ma peau, elle se développait à mesure que je percevais sa présence. D'abord de la taille d'une bille, elle s'étira, modifiant sa forme, coulant pour se mouvoir jusqu'à épouser chaque centimètre carré de mon avant-bras.

Cette lueur était douce et fraîche, mais paradoxalement brûlante...

Puis je réalisai que je l'avais déjà senti, une fois. Bon sang, j'avais l'impression que cela remontait à des mois en arrière.

Lors des obsèques de Dave, Dorian avait mobilisé son pouvoir pour briser le lien mort qui était toujours relié à la meute. Une lueur chaude et dorée était apparue, merveilleuse représentation du lien de meute qui les reliaient tous, formant une toile d'araignée où l'Alpha était le centre. Voir tous ces filaments converger vers Dorian avait été un spectacle si beau que j'en avais eu les larmes aux yeux.

Aujourd'hui, je reconnaissais cette lueur qui grandissait en moi, enflant pour coloniser chacun des recoins de mon corps, parfaitement identique à celle que Dorian avait mobilisée ce jour-là. Celle qu'il m'avait insufflé en me mordant le poignet, me marquant comme son égale.

Sentir ainsi la magie de Dorian en moi... ne me troubla pas comme cela aurait dût. Ma louve, elle, adorait. Elle se vautrait dedans toute entière, jouissant pleinement de tout ce que cela représentait à son niveau.

Je ne sais pas d'où cela sortit, mais je sus.

Je sus avec exactitude ce que je devais dire à Kit.

— Arrête.

Le mot qui sortit de ma bouche était simple, prononcé avec le peu de force qu'il me restait. À peine soufflé, mais empreint d'un tel pouvoir, d'une telle force, que je frissonnai moi-même en entendant ma voix.

Comme si l'instigateur de Kit avait relâché les ficelles de la marionnette, la créature ouvrit la gueule pour désinsérer ses dents plantées dans ma peau. Avec lenteur, il se recula et me dévisagea, comme incertain du comportement à adopter.

— Ra-Ramène-moi... articulai-je avec difficulté, le souffle haletant, la poitrine en feu. Au... village... Kit.

Sans parvenir à prononcer d'autres instructions, je lui envoyai mentalement des images, des sons et des paroles, illustrant la manière de procéder. Hors de question de me bouffer, par exemple.

Mes yeux papillonnèrent, et quand je parvins enfin à stabiliser mon regard, j'étais en mouvement.

Les poils rugueux qui me griffaient la joue à chaque pas étaient bons signes : j'étais encore vivante, et Kit avait compris ce qu'il devait faire – ou du moins, j'avais insufflé en lui assez de pouvoir pour le contraindre à le faire correctement. Il me portait entre ses bras et j'avais la tête contre son torse, les jambes brinquebalantes dans le vide.

Sa démarche dodelinant me donnait la nausée, et la puanteur magique qui l'entourait était ignoble. Je clignai des paupières, et parvins à les rouvrir seulement lorsque nous arrivâmes dans le village.

Les cris d'effroi des habitants se mêlèrent à des interrogations quand ils m'aperçurent, et j'ordonnai mentalement à Kit de me lâcher. Il ne fit pas dans la dentelle, et je percutai lourdement le sol.

Avec toute la difficulté du monde, j'ouvris un œil et rencontrait celui de la créature.

— Change, croassai-je.

Avant que tout ne s'assombrisse autour de moi, je parvins à reconnaître les bottes et le katana qui couraient dans ma direction.

Sortir les griffes T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant