Chapitre 5 (3/4)

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Sa voix, impérieuse, me fit relever un sourcil. D'un geste de la main, je lui désignai la chaise sur laquelle il s'appuyait comme un balourd.

— Mais prenez place, je vous en prie. (Je me tournai ensuite vers Tina, qui nous observait derrière le comptoir, un bras posé sur la hanche.) Pourrions-nous avoir deux cafés, s'il vous plaît ?

La réponse de la serveuse fut étouffée par un raclement de chaise peu aimable. Lorsque Dorian s'assit, une ambiance glaciale tomba sur notre tablée.

— J'étais avec mon amant, pardi, répliquai-je en mordant dans ma madeleine. Où vouliez-vous que je dorme ? demandai-je, la bouche pleine.

Une tasse se brisa du côté de la cafetière, et les injures de Tina devinrent inaudibles lorsqu'elle se baissa pour ramasser les morceaux.

— Je vous demande pardon ? Qui ?

La voix du loup résonnait comme un couperet aiguisé derrière ses paroles, tel un écho funèbre. Devant tant d'implication, je rétropédalai :

— La batterie était HS, le moteur aussi, et le chauffage s'est arrêté. Il faisait aussi froid que pendant un hiver dans les White Mountains. Vous connaissez, peut-être ?

Je regardai dehors, m'arrêtant sur les trente centimètres de neige qui coiffaient le loup sculpté au sommet de la fontaine.

— Ah, mais oui, fis-je en me claquant le front, nous sommes en plein dedans !

Sans un mot, Tina s'approcha pour déposer les cafés demandés, accompagnés d'une nouvelle coupelle de mets sucrés. Dorian ne sembla pas la voir, obnubilé par le membre de la Guide désastreux qu'il semblait voir en moi. Une parcelle de peau sous son œil palpitait, comme s'il hésitait entre me tuer sur le champ, et me jeter dehors pour lui faire bouffer la neige. Ou alors, il était en manque de magnésium.

— Je me suis bien pelé le cul, conclus-je en soufflant machinalement sur le breuvage foncé. Alors je me suis transformée, et j'ai trouvé un endroit à l'abris. C'était bien mieux. Vous voulez un gâteau ? Ceux au chocolat sont supers bons. Il y a du magnésium dedans, en plus.

La maîtresse des lieux était retournée derrière la caisse, et ne se gênait plus pour écouter notre conversation, une fesse perchée sur un tabouret haut. Enfin, pour écouter le monologue d'une louve solitaire, plutôt.

— Vous ne dites plus rien ?

— Non. J'ai pris note de la température extérieure durant la nuit. Et merci de ne pas corrompre mes loups en les attirant dans votre tanière.

Je clignai des yeux, puis acquiesçai avec lenteur. Puis je souris en plissant les yeux.

— D'accord. J'essayerai de m'en rappeler, à l'occasion.

Dorian secoua lentement la tête de gauche à droite, comme profondément exaspéré – à tel point que ça ne l'étonnait même plus.

— Vous êtes une catastrophe, vous en êtes consciente ?

Du mouvement à l'extérieur attira mon attention.

La place qui était déserte une minute plus tôt se retrouvait désormais noire de monde.

Premièrement, trois jeunes garçons, d'une quinzaine d'années, s'engouffrèrent dans une maison de trois étages, la plus haute de toutes. Deuxièmement, une camionnette d'un vert délavé coupa les gaz près de la fontaine, attirant foule, et un homme d'un certain âge distribua des colis aux personnes regroupées autour de lui. Enfin, une femme habillée d'un long manteau s'approcha de la vitrine du café.

Elle ne sembla pas s'apercevoir de notre présence si proche, juste derrière, et regarda son reflet dans la vitre, retouchant d'un ongle vernis le tracé de son rouge à lèvre.

Soudain, la femme sembla remarquer Dorian, et son visage s'éclaira. À ce moment, je la trouvai jolie. L'inconnue s'apprêtait à entrer dans le café, quand Dorian demanda en vitesse :

— Je peux vous demander un service ?

Le ton pressant, différent de ceux qu'il employait lors de nos échanges, me fit tiquer. L'agent en moi prit le relais. Des mots enchaînés trop rapidement, pas de répartie, je ne cherchai pas à polémiquer. Mais ça viendrait plus tard, à n'en pas douter.

Je haussai les épaules.

— Oui. Même si je suis une catastrophe, à ce qu'il paraît.

Avant même que je ne termine ma phrase, Dorian s'était levé de sa chaise, se propulsant dans ma direction comme un diable jaillissant hors de sa boîte.

Sortir les griffes T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant