Chapitre 17 (2/3)

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Ce n'était pas une question. Tout comme lui, je répondis en regardant obstinément les feuilles agrafées ici et là.

— Tout à fait. Que sais-tu à ce propos ? Si tu n'en sais rien, c'est que quelqu'un me l'a volée. Et nous avons donc un sacré souci à se faire.

Le ricanement qui jaillit de sa gorge me fit rater un battement de cœur. Je serrai les dents en pivotant vers lui. Je croisai les bras, maudissant le bruit de frottement ridicule que faisait ma parka au moindre mouvement.

— Que veux-tu exprimer avec ce rire nasillard ?

— Mais enfin, personne ne volerait ta caisse, même contre de l'argent. C'est Maddy qui s'en occupe.

Je haussai un sourcil à l'entente de ce prénom féminin.

— Oui, Maddy. Elle est allée chercher la pièce qui lui manquait. C'est une louve très douée, ajouta-t-il devant mon air sceptique.

Le grondement de ma louve devant ses mots aurait dû m'alerter. Mais je ne retins qu'une seule chose : quelqu'un allait réparer la Dacia. Que le mécano soit une femme ou un homme importait peu – certaines femmes, comme moi, faisaient très bien leur boulot. En revanche, entendre de la bouche de Dorian qu'une autre louve que la mienne valait le détour... mes dents grincèrent.

La vague de jalousie qui me submergea me laissa à vif, et je la repoussai en même temps que le tisonnier brûlant qui me ravagea le ventre.

— Super, grommelai-je – à la fois pour Maddy et pour moi. Est-ce que tu as...

Je n'eus pas le temps d'en savoir plus – et heureusement. Un vacarme épouvantable nous parvint depuis la boutique de Tina.

J'échangeai un regard avec Dorian devant les cris effrayés des clients se ruant sur la porte pour fuir. Sans même se concerter, nous nous ruâmes dans la même direction.

Nous déboulâmes dans le petit espace comme un seul homme. Aussitôt le seuil franchi, l'odeur âcre qui se mêlait à la douceur des pâtisseries me prit à la gorge.

Tout comme Dorian, je restai immobile devant la scène qui se déroulait devant nous, le cœur déchiré.

Une bête immense, bien plus que les précédentes, se tenait derrière le comptoir. Au tablier orné de marguerites qui lui ceignait encore les hanches, je ne doutais pas une seule seconde de l'identité de cette nouvelle marionnette.

Imaginer Tina prisonnière de ce cauchemar me retourna les tripes.

Une respiration rauque sur la gauche, près de la table où nous nous étions assis un jour avec Dorian, attira mon attention.

Le choc que je reçu au plexus à la vue de Skaï, le compagnon de Tina, me fit frissonner. Il émanait de lui un tel désespoir que je détournai les yeux en serrant les dents.

Malgré son regard rougi, il se savait Bêta avant tout. La protection de la meute était son devoir. En travers de sa poitrine se dressait son katana – dressé contre sa femelle. La pointe en métal trempé oscillait à cause du tremblement de ses mains. La souffrance qui le parcourait était acide sur ma langue.

Comme si cela pouvait la faire revenir à elle, il débitait des mots comme une prière.

— Reviens, bébé. On devait aller voir les Yankees bientôt, tu te souviens ? Si tu restes comme ça, ils ne voudront jamais que tu prennes trois sièges rien que pour tes fesses, tu le sais... Reviens, baby. S'il te plaît ?

Contrairement à celui qui s'était emparé de Louis, le monstre de Tina ne possédait aucune once d'intelligence humaine dans le regard. Il produisait des grondements effroyables et ininterrompus, semblables à ceux d'une bête enragée sur le point d'être mise en cage.

Dorian tendit le bras vers son Bêta comme pour lui signifier de se taire. Il contourna une table sans quitter Tina de ses yeux clairs et envoutants. Mes bras se couvrirent d'une chair de poule, et je mis une seconde avant d'en saisir la cause : l'Alpha déployait sa magie.

Je croisai intérieurement les doigts pour que cela fonctionne aussi bien qu'avec Louis. Le sourire immédiat de Tina m'avait conquise au premier coup d'œil, et la gentillesse dont elle avait fait preuve envers ma personne – une louve solitaire – était rare. D'ordinaire, les autres loups me jetaient plutôt des cailloux lorsque je passais à proximité.

Alors que l'atmosphère se faisait soudain lourde et envoutante, Tina se cabra soudain en arrière, hurlant sa rage. Sa gorge mi-humaine mi-animale produisit un son semblable à du gravier jeté sur du cristal.

Sous l'influence de la magie dominante de son Alpha, la créature secoua férocement la tête, envoyant des projections de bile sur le comptoir. Ses bras poilus se levèrent et elle s'agrippa le crâne comme pour en faire sortir quelque chose. Les spasmes qui la parcouraient étaient impressionnants et je serrai les dents en imaginant ce que mon amie devait ressentir.

De son côté, Dorian tremblait, luttant mentalement pour percer la brume de magie qui enveloppait l'un des siens. Son bras se tendit pour s'agripper au dossier de la chaise la plus proche.

Des gémissements se mêlaient aux grondements, créant une ignoble et macabre symphonie. Je grimaçai en avisant les griffes surdimensionnées s'enfoncer au niveau de son cuir chevelu. L'effluve ferreux du sang se mêla au reste.

Alors que j'allais interrompre Dorian dans sa tentative de domination, je notai une infime modification dans la posture de Tina.

— À terre ! hurlai-je au moment où elle bondissait furieusement par-dessus le comptoir.

Skaï se laissa tomber au sol, son katana ramené contre lui. Dorian bondit en arrière, se rapprochant de moi. Déjà hors de portée, j'attrapai le poignard glissé dans ma botte.

En quelques enjambées maladroites, Tina s'était propulsée droit vers son compagnon. À mes côtés, je sentis Dorian se tendre, décuplant sa dose de magie.

Juste avant de piétiner Skaï, elle bondit à-travers la vitre en gémissant. Des éclats de verre furent projetés sur le carrelage et le mobilier alentour. Le vent s'engouffra à l'intérieur, et nous nous ruâmes à sa poursuite. Le Bêta se releva en ignorant les tessons qui le recouvraient et enjamba ce qu'il restait de la vitrine, s'entaillant la cuisse dans le mouvement. Il ne parût pas s'en rendre compte. Il doit être dévasté.

Un silence terrifié avait recouvert la place du village. Je sentais les visages cachés derrière les volets fermés épier le moindre mouvement, avides de la plus petite information.

La voix de Dorian claqua, puissante et emplie de magie.

— Ne bouge pas ! 

Sortir les griffes T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant