Les jambes bien campées, je levai le fusil et positionnai la lunette de tire devant mon œil, soufflant calmement pour ralentir ma respiration. Préparée avec le doigt sur la gâchette, je grognai en voyant Dorian et la créature apparaître tour à tour au centre de la fine croix noire.
— Merde, jurai-je dans un murmure. Arrêtez de bouger.
Là !
Je profitai d'une seconde et d'un angle parfait pour tirer.
Le gémissement rauque qui retentit me fit relever la tête. Dorian se redressa en se frottant l'avant-bras. La panique me saisit, mais j'avisai aussitôt la touffe colorée de la fléchette anesthésiante dans le cou de Tina, et soupirai.
— Bien joué, articula-t-il en reculant de quelques pas. Mais c'est passé près.
Sans prendre la peine de répliquer, je lui dressai mon majeur et retournai auprès de Skaï pour l'aider à se remettre sur ses jambes. Dorian restait à bonne distance de la créature qui commençait à devenir groggy.
— Ça va, tu peux te lever ? demandai-je au Bêta.
— Ouais, grommela-t-il, ça va le faire.
Nous baissâmes de concert les yeux vers son abdomen. Il grogna en tâtant le pourtours des plaies pas encore tout à fait refermées, bien visibles à travers son T-shirt en lambeaux.
— C'est moche, en conclus-je pour lui.
— J'ai vu, merci pour ton commentaire.
Nous fûmes interrompus dans notre échange par un loup à l'air agacé.
— Vous avez bientôt fini ? Dalaena, nous avons une louve à déplacer, dit-il en montrant la masse inerte du pouce. Skaï, rentre chez toi pour te remettre.
— Mais...
— Mais rien, coupa-t-il. Et nous, me lança-t-il sans un coup d'œil, au travail.
⸙
Avec l'aide de Dorian, nous transportâmes tant bien que mal la femme inconsciente jusqu'au jardin de l'Alpha, piétinant à vitesse d'escargot. Malgré mon excellente condition physique, je soufflai comme un bœuf, comptant les pas qui nous séparaient de la cave. Et pour cause : la Tina transformée en monstre pesait le poids d'un cheval crevé.
Placée entre nous, nous avions fait passer ses bras par-dessus nos épaules. Nous étions entravés dans notre pénible avancée par ses jambes qui traînaient derrière elle, déplaçant la neige dans la foulée.
La puanteur qui nous entourait était insoutenable, et respirer par la bouche ni changeait rien.
Par-dessus la tête monstrueuse de Tina, je scrutai le profil de Dorian en fronçant les sourcils. Il était si fermé que je parvenais à sentir sa froideur même avec les miasmes de la magie. Son regard braqué droit devant lui n'incitait pas à la discussion, pourtant je lui demandai :
— Pourquoi ne me suis-je pas transformée quand tu as déployé tes supers pouvoirs de Godzilla ? Tu t'es ramolli depuis la dernière fois ?
— Non. J'ai juste fait en sorte de t'éviter, dit-il sans m'accorder un regard.
L'absence de vanne dans sa phrase m'interpella. Ça ne se passait pas comme ça entre nous, normalement.
— Euh... merci ?
— De rien.
Je me raclai la gorge et effectuai un petit sursaut pour reprendre prise sur le bras de Tina. L'impressionnante longueur des griffes qui pendaient au bout de sa main, bringuebalant au rythme de nos pas, si près de mon visage, me fit grimacer. Je croisai les doigts pour que l'anesthésique magique du shaman fasse effet jusqu'à ce qu'elle soit bien enfermée – et moi bien à l'abri avec de solides barreaux nous séparant. Je tenais à mes yeux, ils étaient beaux avec leur centre vert et leur pourtour noisette.
Les portes qui menaient à la cave étaient de celles qui s'ouvraient par le haut, pas tout à fait au niveau du sol mais légèrement inclinées.
— Hé ! Putain, c'est quoi ce truc ?
La voix estomaquée de Kit nous fit relever les yeux vers la maison. Il avait ouvert une des baies vitrées de l'atelier de peinture de son père et nous surplombait d'un étage, les mains cramponnées sur le verre.
— Ton langage, le réprimanda d'une voix atone Dorian. Reste-en haut, Kit, on ne sait jamais. Tu peux nous jeter les clefs de la cave, s'il te plaît ?
— Pourquoi ? Ce quoi ce truc ?
— Je t'expliquerai plus tard, coupa Dorian, son loup rodant dans ses pupilles et sous la surface de sa peau. Les clefs, répéta-t-il d'une voix dure. Par la fenêtre.
Sans mot dire, Kit s'éloigna. J'entendis la lourdeur de ses pas lorsqu'il descendit en vitesse les escaliers, puis plus rien, mon ouïe ayant ses limites.
— Tu m'en veux, constatai-je en pivotant vers l'Alpha – du moins autant que me le permettait l'encombrant corps de Tina.
Je ressentis aussi bien dans mes tripes que dans ma tête le grondement qu'il produisit. Peut-être un mélange d'exaspération et d'agacement. Il était vrai que je produisais souvent cet effet-là dans mon sillage, mais je pensais que nous avions dépassé ce stade. Mais visiblement pas.
— Pas maintenant, Dalaena.
Le retour de Kit me priva d'une répartie cinglante. Comme les loups de son âge, il faisait un boucan de tous les diables lorsqu'il se déplaçait. Sa tête pointa de nouveau par l'ouverture, il n'affichait plus son sourire.
Super. Plus personne n'était de bonne humeur.
— Je les aies, grommela-t-il.
Je tendis maladroitement une main en avant et il les jeta directement dans ma paume. Je lui adressai un clin d'œil.
— Merci, p'tit mec.
Après m'être débattue pour ouvrir les portes, nous empruntâmes les escaliers à l'aspect lugubre. Le maigre couloir se rétrécissant, nous nous serrâmes, et l'irritabilité de Dorian me piquait les narines. La descente était interminable. Les quelques ampoules qui s'éveillaient à notre passage n'éclairaient que les marches. Mon épaule raclait contre les parpaings laissés à nu, retirant les toiles d'araignée.
Puis, enfin, nous déboulâmes dans une pièce à l'aspect particulier.
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Sortir les griffes T1
ParanormalDorian Morff est le plus horripilant de tous les Alphas de cette foutue planète. C'est le premier constat qu'a fait Dalaena après leur désastreuse rencontre. Excellent membre de la Guilde, c'est tout naturellement - et contre son gré - qu'elle est e...