Chapitre 6 (2/2)

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— Hé ! C'est vous, Léana ?

Je me tournai vers la voix qui venait de me héler. J'avais à peine fait le chemin jusqu'à la fontaine. Je sentais le regard brûlant de Dorian dans mon dos. Il y dessinait au fer chauffé à blanc les lettres : « M », « O », « R » et « T ». Ou quelque chose du même acabit.

C'était le vieil homme près de la camionnette, celui qui avait distribué les colis aux habitants. Il ne restait plus que lui sur la place. Seules les nombreuses empreintes de pas sur le sol laissaient deviner que des personnes s'étaient trouvées massées ici dix minutes plus tôt.

— Dalaena ? corrigeai-je.

L'homme tenait une enveloppe entre ses mains, et il l'éloigna de ses yeux pour déchiffrer les lignes.

— Ma foi, c'est bien possible, marmonna-t-il tandis que je me rapprochais. Tenez, vos yeux fonctionnent mieux que les miens.

J'attrapai l'enveloppe qu'il me tendait d'une main tremblante, et la retournai. Mon nom figurait en lettre manuscrites dessus.

— C'est pour vous ? s'enquit le vieillard.

— C'est bien pour moi, répondis-je distraitement en la fourrant dans la poche arrière de mon pantalon.

L'homme suivit mon regard et me questionna du regard sans rien dire.

— Je la lirai plus tard, me justifiai-je.

Il leva les mains devant lui, l'air de dire « pas mes affaires, ma p'tite dame ».

— Il y avait un sac avec, précisa-t-il. Et un autre drôlement lourd.

Il m'indiqua l'arrière de la camionnette d'un mouvement du pouce.

— Super, grognai-je. Jasper est efficace quand il le veut.

Je m'emparai de mes affaires en secouant la tête.

— Même s'il a toujours un train de retard. (Je contournai le véhicule tandis que l'homme retournait derrière le volant en claquant la portière.) Je peux vous poser une question ? demandai-je en haussant la voix pour qu'il m'entende.

Il fit descendre la vitre avec une lenteur incroyable.

— Ma foi, oui.

Du menton, je désignai le bâtiment dans lequel les trois ados s'étaient engouffrés plus tôt, celui qui s'élevait sur trois étages.

— Qu'est-ce que c'est ?

Il se pencha sur le volant pour observer le haut de la bâtisse en question.

— Oh, ça ! C'est la bibliothèque. Les bouquins sont un peu vieillots, mais ils se lisent bien. Vous savez, nous n'avons que six mois de retard pour les arrivages des nouveautés, elle est presque à jour.

Je lui adressai un sourire.

— Je vais aller y jeter un coup d'œil alors, merci.

— Ne cherchez pas la saga Twilight, je les ai tous empruntés.

Cette information me laissa silencieuse, les lèvres entrouvertes.

— Euh... d'accord, balbutiai-je finalement.

Le vieil homme remonta la fenêtre dans un couinement agaçant, et m'adressa un clin d'œil derrière la vitre.

— Ma foi, j'ai un faible pour les histoires de loups garous ! se justifia-t-il à travers l'épaisseur de la fenêtre. Amusez-vous bien !

Je regardai la camionnette s'éloigner, puis j'attrapai les anses des sacs, et allai les déposer sous les escaliers de la maison de Dorian. Je les récupérerai plus tard, une affaire plus urgente m'attendait. Les tintements métalliques qui remontèrent d'un bagage lorsque je le posai à terre, des sons familiers, me firent sourire.

Jasper n'avait pas été radin sur les armes, pour une fois. Sa manière à lui de s'excuser, sans doute.

Ou alors, c'était juste pour annoncer la couleur de cette mission.

Du coin de l'œil, j'avisai Dorian. Il était à présent à l'extérieur de la boutique de Tina, les bras croisés. Il ne bougeait pas d'un pouce. C'était à peine s'il respirait.

Il épiait sans vergogne le moindre de mes gestes.

Je roulai des épaules en redressant le dos, levant les yeux devant la grande bâtisse. Pour une raison inconnue, cette bibliothèque ne m'inspirait aucune confiance.

En sentant un certain regard de braise me transpercer, je m'y rendis pourtant en pressant le pas.

Sortir les griffes T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant