Chapitre 9 (1/2)

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Dorian s'acharnait sur l'écorce gelée comme s'il était en plein face à face avec l'ordure qui s'en prenait à sa meute. Il ne retenait aucun de ses coups, s'écorchant la peau au moindre contact. Les mains, les pieds, les genoux, tout y passait. L'odeur de son sang me parvenait même à plusieurs mètres, mêlée à celle, rafraîchissante, de la sève.

Dans le silence de la nuit, ses grondements résonnaient comme des coups de feu. Malgré le bordel qu'il faisait, et ma discrétion légendaire, il sentit ma présence. Soudain immobile, la paume posée contre le tronc défoncé, ses épaules bougeaient en rythme avec sa respiration haletante.

Seule sa tête se tourna imperceptiblement, comme pour que son oreille puisse aussi percevoir ce que son nez avait déjà analysé. Dans mon dos, le vent s'était levé, poussant mon odeur dans sa direction.

Son T-shirt trônait en boule dans la neige, jeté négligemment au pied d'une racine qui détrempait doucement le tissu. Même sous le couvert des arbres, sa peau luisait de sueur, réfléchissant la lumière de la lune comme le pelage d'un loup gris.

Ses trapèzes traçaient une véritable flèche pour les yeux, et je me retrouvai à la suivre du regard, bien malgré-moi. Je me secouai en me rendant compte que je reluquais la ceinture de son pantalon, qui descendait bas sur ses hanches fines.

— Qu'est-ce que tu veux ?

Sa voix rauque, essoufflée par l'effort, finit de me sortir de ma torpeur.

— Te dire qu'il te faut des lunettes. Tu es en train de cogner un arbre.

Enfin, il se tourna à demi dans ma direction. Assez pour que j'ai un aperçu de son profil et de son sourcil haussé.

— Sans blague ? répliqua-t-il sans volonté.

— Heureusement, dis-je en retirant ma veste et en allant la suspendre à une branche dépourvue de neige, un bon samaritain te propose ses services de punching-ball.

Un simple coup d'œil à sa posture, aux muscles qui rampaient sous sa peau, m'apprit que j'avais réussi à obtenir son attention. Il se tourna totalement vers moi, et croisa les bras sur son torse, le dos appuyé contre le tronc mis à nu.

— Tu me demandes de te taper dessus pour évacuer ma rage ?

Tout en parlant, je piétinai la neige autour de moi pour assurer mes appuis, créant une bande de sol stable :

— Tout à fait. Je crois que c'est ce qu'il te faut.

Son regard se fit encore plus sombre quand il répondit d'une voix grave :

— Je ne suis pas ce genre d'homme, Dalaena. Te frapper ne me soulagera pas. Loin de là, même.

Je relevai le menton en penchant la tête sur le côté.

— Je sais. Mais je t'invite à un combat – pas une mise à mort sans réplique. Que tu évoques le fait que tu pourrais me foutre une raclée, c'est insultant. Je ne suis pas de ce genre-là, non plus, je préfère te prévenir. Vingt dollars que tu ne me toucheras pas une seule fois.

Dorian appuya la tête en arrière contre le bois, inspirant avec lenteur, comme pour se maîtriser. Il secoua brièvement la tête, comme s'il savait qu'il faisait une connerie, mais qu'il ne pouvait s'empêcher de la faire quand même.

J'avançai d'un pas, les pieds bien campés sur le sol.

Lorsqu'il ouvrit les yeux, son regard était décidé, lucide. Malgré toutes les emmerdes qui lui tombaient dessus, un sourire terrifiant étira ses lèvres.

Une seconde plus tard, il me chargea comme un boulet de canon.

Ses bras s'écartèrent comme s'il voulait me cintrer la taille pour me plaquer contre l'arbre le plus proche. Mais d'un bond sur le côté, j'esquivai l'étreinte. Emporté dans son élan, Dorian me dépassa et je l'envoyai percuter un épicéa d'un coup de pied arrière qui le toucha à la hanche. Il se rattrapa in extremis, les paumes à plat contre le tronc.

Avec lenteur, il tourna la tête vers moi, me considérant avec froideur. Je lui adressai un sourire en me mettant à sautiller sur place, les bras au niveau de mon visage.

Fais gaffe à ta garde, nom de Dieu ! Défends-toi ou attaque, mais garde tes bras en l'air ! Toujours. Au fil des entraînements, les mots de mon prof d'arts martiaux s'étaient gravés au fer blanc dans mon corps.

En deux pas, Dorian se retrouva devant moi, son poing visant mon épaule. D'une torsion du buste, j'esquivai le coup et repoussai son bras d'une tape du mien. Il grogna en plissant des yeux.

À mon tour, je lançai mon poing, droit sur son menton. Au dernier moment, juste avant de le toucher, je fis pivoter mon poignet dans une feinte qui l'atteignit finalement à l'estomac.

Déséquilibré, il recula d'un pas. Il tenta quelques coups qui ne rencontrèrent que de l'air, et je me mis à sautiller autour de lui pour le déstabiliser. Mes poings le touchèrent partout où sa garde ne le protégeait pas. De l'index, je remontai son coude un peu plus haut pour qu'il se protège correctement. Comme l'aurait fait son loup, il retroussa les lèvres en grognant.

Lorsque je lui administrai une claque sur une fesse, faute de pivoter assez rapidement, il gronda en effectuant à la perfection un lancer de jambe au ras du dos. Il faucha les miennes en une seconde, et s'aida de ses mains pour pousser sur mes genoux, réduisant à néant ma tentative d'esquive.

Dans un bruit sourd de corps qui percute le sol, je me retrouvai dans la neige. Je clignai des yeux en le voyant se projeter dans ma direction. Une roulade en arrière me permis d'éviter le poids de son corps sur le mien.

D'un mouvement de jambes, il se retrouva sur ses pieds, et je l'imitai.

Face à face, nous nous observâmes. D'un mouvement de doigts à la Jackie Chan, je l'invitai à s'approcher.

— Arrête de te retenir, haletai-je.

Sans rien dire, il m'obéit.

À la vitesse de la lumière, un poing visa mon nez. 

Sortir les griffes T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant