Chapitre 29 (2/2)

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Sans faire un seul bruit, je me déplaçai à travers le salon avec réserve. Je passai la tête au-dessus du seuil et fus surprise de voir sa chambre, d'entrer dans son intimité de la sorte.

Un lit gigantesque trônait en face de la porte, et les draps argentés qui le recouvraient avaient l'air d'un moelleux incroyable. La décoration était sobre, la couleur sombre du parquet mettait en valeur le tableau qui recouvrait presque un pan de mur entier.

Même si j'aurais été bien incapable de reconnaître le coup de pinceau de Dorian, j'étais certaine que cette peinture était de lui.

À quelques détails près, cette vue était celle qu'il devait avoir depuis son atelier de peinture. Les arbres étaient dépourvus de neige, peut-être ressemblaient-ils à ça en pleine été. Les branches des sapins étaient si réalistes que je m'en approchai s'en m'en rendre compte, intriguée. Toutes ces nuances de verts étaient magnifiques.

— C'est très beau, soufflai-je, les yeux captivés par un regard de loup perçant à-travers les troncs, si bien dissimulé que j'aurais facilement pu passer à côté.

— C'est le deuxième tableau que j'ai fait lorsqu'on a emménagé dans la maison.

Sans savoir si je voulais réellement connaître la réponse, je lui posais la question :

— Quel était le premier ?

— Un portrait.

J'acquiesçai sans rien dire. Le pincement qui m'étreignit le ventre me fit pincer les lèvres. Vu la manière dont il avait peint mon visage, je n'étais pas la première femme qu'il dessinait, ni la dernière.

— Celui de Kit, précisa-t-il. Tu viens ?

Dorian était assis dans son lit, la couette remontée sur les jambes et son dos s'appuyait contre les planches qui constituaient la tête-de-lit. La lampe de chevet allumée à sa droite projetait une nuance dorée sur son torse, mettant en valeur ses muscles et son profil.

Il repoussa la couverture laissée intacte de l'autre côté du lit pour me faire une place, et je poussai la porte avant de le rejoindre.

Je me glissai dans les draps en savourant l'odeur qu'ils dégageaient, et une boule au ventre me sera les entrailles quand j'échangeai un regard avec Dorian.

— Détends-toi, je t'ai déjà dit que je n'étais pas un homme facile.

Je riais doucement en ajustant ma tête sur l'oreiller. Dorian s'installa et m'imita. Il éteignit la lumière et je lui tournais le dos.

— Tu m'avais aussi dit que je ne verrai pas la couleur de tes draps, soulignai-je.

Sans même le voir, je le sentis se renfrogner. Je ricanai et il marmonna :

— Tu es tellement au bord du lit que tu vas tomber dès que je vais me retourner dans la nuit.

— On verra bien.

Après quelques minutes, je me trouvais dans un état à mi-chemin entre l'endormissement et le réveil. En sentant une des jambes de Dorian se mêler aux miennes, je soupirai. Il dégageait une chaleur réconfortante et je me gorgeai de cette sensation pour les mois à venir. À quand remontait le moment où j'avais partagé le confort d'un lit avec quelqu'un ? Le fait que je ne m'en rappelle pas était une réponse en soi – une réponse sacrément déprimante.

La respiration de Dorian était lente et profonde, il émanait de lui une paix agréable.

— Tu réfléchis trop, marmonna-t-il paresseusement, sa voix étouffée par l'oreiller. Viens-là.

Un de ses bras me ceintura la taille pour me ramener contre lui. Mon corps glissa sur les draps comme s'il ne pesait rien. Il plaqua mon dos contre son torse, et son visage se nicha dans ma nuque.

Le soupir de bien-être qu'il poussa me fit frissonner.

Être ainsi collée à cet homme me procura un sentiment de relaxation comme jamais je ne l'avais ressenti. Tout mon corps se détendit, et je soupirai à mon tour.

Il dégageait une telle puissance, une telle sensation de protection, que je me surpris à penser que l'on ne risquerait rien avec une telle étreinte. Que rien ne serait en mesure de m'atteindre.

Bercée par sa respiration posée et ses lèvres frôlant ma peau, je m'endormis en rêvant de choses impossibles.

Le lendemain matin, toute la meute s'était rassemblée pour assister à mon départ.

Tina me confia une boîte de ses délicieuses madeleines au citron, Skaï m'adressa un regard empreint de reconnaissance, Kit me sauta dessus pour me prendre dans ses bras, et je notai la présence du shaman. Malgré sa moue et ses bras croisés, je lui adressai un clin d'œil par-dessus l'épaule du gosse – il fallait enterrer la hache de guerre avant mon départ, il m'avait évité la mort, quand même. Il se dérida et me fit un geste de la main.

Shannon, la veuve de Dave, me remercia de ma venue. Je n'avais pas pu empêcher la mort de son mari, mais j'avais pu empêcher les suivantes, et cela n'avait pas de prix à ses yeux.

Louis me montra les cicatrices qu'il avait sur le torse, vestiges des balles que je lui avais tirées dessus, et me dit qu'il ne m'en tiendrait pas rigueur.

Même Dolly, la vieille bibliothécaire, avait fait le déplacement. Elle me signifia que je pouvais garder la bible que j'avais volée, et je lui souris en me demandant où ce bouquin avait bien pu passer.

Dorian était le seul qui ne souriait pas. Il m'aida à charger mes sacs dans le coffre, s'assura qu'il ne manquait rien, et m'ouvrit la portière. J'ouvris la bouche. La meute entière nous observait.

— On y est. Je t'ai dit que je n'aimais pas les adieux.

— Peut-être que ce n'en est pas.

— Si, dis-je avec un regret que je m'étonnai de ressentir.

Quand il se pencha pour déposer un baiser sur mon front, je me figeai.

— Merci infiniment, souffla-t-il contre ma peau.

Puis s'en rien attendre de plus, il s'éloigna, slalomant entre les personnes jusqu'à disparaitre de ma vue. La douleur qui me comprima le ventre me serra la gorge.

Je partageai avec Kit une dernière étreinte, et m'installai sur le siège inconfortable avant de claquer la portière.

Le moteur capricieux m'obligea à faire plusieurs tours de clé, et, quand la Dacia démarra enfin, je pris une profonde inspiration.

La route irrégulière me ballota, et je secouai la main pour répondre à ceux qui agitaient les mains dans le rétroviseur central. La route effectua un virage, et je me gorgeai de la vue de ce village avant qu'il ne s'efface de mon champ de vision.

J'effectuai le trajet fait il y a quelques jours en sens inverse, et, quand je quittai la forêt des White Mountains, la vue de la forme sombre arrêtée entre deux troncs me fit monter les larmes aux yeux.

C'était la première fois que je voyais Dorian sous sa forme animale, et était aussi beau que les autres fois.

Je sentis son regard sur moi pendant des kilomètres. Ses incroyables iris si claires ne me quittèrent pas, même lorsque je coupai le moteur, des heures plus tard.

Quand je me couchais ce soir-là, mon lit était aussi glacé que l'intérieur de ma poitrine.

Sortir les griffes T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant