J'avançai encore pendant plusieurs minutes avant de tomber sur les premières habitations. Les lieux semblaient sortir tout droit d'un film d'horreur, et personne ne vint à ma rencontre.
— Hé oh ? essayai-je.
Les volets de la plupart des maisons étaient fermés, et je passai devant sans m'arrêter. De la fumée s'élevaient par quelques cheminées, et je me dirigeai vers la plus proche. Personne n'ouvrit quand je frappai à la porte.
Reculant de quelques pas, je tournai sur moi-même en élevant la voix :
— Il y a quelqu'un ?
Je me trouvais en plein milieu d'un pavillon aux allures sinistres. Les maisons, toutes identiques, semblaient à l'abandon. Leur alignement parfait donnait l'impression de se trouver dans un cimetière, où les tombes se dressaient les unes à côté des autres – sans aucun vivant pour venir les entretenir.
Méfiante, j'avançai, continuant mon exploration.
Les bâtisses n'avaient rien d'accueillant, et il n'y avait pas âme qui vive à la ronde. Pourtant, j'avais la désagréable sensation d'être épiée. Le poil dressé de ma louve ne me trompait jamais.
Aux aguets, je continuai de me frayer un chemin dans la neige. Lever les genoux de la sorte me ralentissait. Excepté la tranchée que je créais en avançant, aucune autre trace ne venait abîmer la couche de flocons tombés cette nuit ; personne n'avait mis le nez dehors aujourd'hui.
Toujours emmitouflée dans ma couverture miteuse, j'attrapai la dague qui ne quittait jamais ma cuisse. Mes doigts épousèrent à la perfection le manche rugueux de l'arme. Je pris soin de bien la dissimuler sous ma veste de fortune.
L'allée glauque bordée de façades austères déboucha sur une place circulaire qui laissait un peu plus d'espace pour respirer. Je devinai immédiatement que les rassemblements de la meute se déroulaient ici.
Au centre de l'esplanade, une fontaine défraîchie s'élevait. Une inscription faisait le tour du bassin, et la cuve débordait de neige. Je ne connaissais pas la langue employée, les lettres alambiquées m'étaient inconnues.
Une sculpture était posée en son centre. Il était fort probable qu'elle représentait un loup prêt à bondir ; avec toute la neige qui la recouvrait, je n'aurais pu en être certaine. Mais j'aurais volontiers parié que ses babines étaient retroussées pour laisser apparaître des crocs impressionnants. De quoi accueillir les quelques courageux qui osaient s'aventurer jusqu'ici. Le message : Déguerpissez !
Au-delà de la fontaine, une estrade avait été construite avec des rondins en bois. Elle paraissait plus récente que le reste.
À ces côtés, un panneau d'affichage était dressé. Un toit en triangle le surmontait pour protéger les messages des intempéries. Plusieurs feuilles y étaient épinglées, et je m'approchai pour mieux les distinguer.
La première qui me sauta aux yeux fut celle arborant le message « RESTER CHEZ VOUS ET VOUS SEREZ PEUT-ÊTRE ÉPARGNÉS ». L'écriture était bâclée, les lettres mal faites. Un mot rédigé à la va-vite par une personne effrayée de se trouver à l'extérieur.
La feuille à ses côtés piqua ma curiosité. C'était un tableau vierge, et quelques lignes avaient été remplies à la main, par certains courageux. « Livraison tous les jeudis » semblait être le titre.
Sur la première ligne, une personne avait écrit : « aiguille à tricoter n°12 – 40 cm + 4 pelotes de laine bleue ». Le nom d'une dame était griffonné dans la case adjacente.
Les demandes s'étalaient ainsi sur plusieurs lignes, certains demandaient des médicaments, d'autre des stylos ou des cahiers.
Une écriture tremblante quémandait une douzaine de pots à confiture vides. Une autre, exécutée malhabilement avec un feutre vert demandait de lui rapporter un chien. Le mot était signé « Nino ». Quelqu'un avait rayé cette demande avec un stylo à bille. Un parent contre l'idée, peut-être.
Je reculai d'un pas.
Ces gens ne sortaient jamais de leur village. Si cette liste était bien ce que je pensais, une brave personne descendait à la ville une fois par semaine pour les provisions, et rapportait au passage ce dont les habitants avaient besoin. Ils sont donc reclus à ce point !
Une soudaine bourrasque de vent me fit frissonner. Je resserrai autour de mon corps frigorifié la couverture, et remarquai une feuille plus ancienne, dissimulée, gondolée par l'humidité.
De la pointe de mon couteau, je soulevai les pages qui la recouvrait de moitié.
La photo d'un adolescent aux dents tordues, tout sourire, apparaissait en noir et blanc au centre. Sous celle-ci, un bref descriptif physique et le mot « DISPARU », en gras.
Je ne laissai pas à la tristesse et à la pitié le temps de s'installer dans ma tête. Depuis toujours, seule la colère y prenait racine. C'était la seule émotion que j'acceptais pour mener à bien mon travail.
Quand le vent se mit à siffler en s'engouffrant sous l'estrade, je lui jetai un bref coup d'œil. On se serait cru dans un film d'horreur. Des flocons étaient soulevés des toits, s'accrochant à mes cheveux. Pour une raison inconnue, je levai les yeux pour les observer.
Et je me figeai en croisant le regard d'un homme perché sur le toit. Il se cacha aussitôt, mais trop tard.
Je n'avais pas rêvé, il y avait bien eu quelqu'un de dissimulé là-haut, qui m'observait en douce depuis Dieu seul sait combien de temps.
Sur mes gardes, je m'éloignai du panneau d'affichage pour avoir une vue d'ensemble.
Une trace de pas dans la neige, qui n'était pas la mienne, était apparue. Coupant la place en deux, celle-ci s'arrêtait derrière la fontaine.
À quelques mètres à peine, quelqu'un se cachait. Et d'autres ailleurs, j'en aurais mis ma main au feu.
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Sortir les griffes T1
ParanormalDorian Morff est le plus horripilant de tous les Alphas de cette foutue planète. C'est le premier constat qu'a fait Dalaena après leur désastreuse rencontre. Excellent membre de la Guilde, c'est tout naturellement - et contre son gré - qu'elle est e...
