Chapitre 10 (3/4)

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Cette meute était sacrément unie. Ce mot tournait en boucle dans mon crâne, alors que je les surveillais depuis le début de la cérémonie. Si la meute de mon enfance avait été différente, plutôt comme celle-ci, peut-être n'aurais-je jamais finie solitaire. Sûrement.

Même dans la douleur de la perte, les membres restaient soudés. Une corbeille de petits pains apparaissait sous le nez de celui qui se perdait dans la contemplation de son assiette à peine entamée. Une main se posait sur une épaule lorsque son propriétaire tremblait de pleurs contenus.

Certains louveteaux, encore trop jeunes pour comprendre réellement la portée de ce rassemblement, formaient un petit groupe à l'extrémité des tables. Un adulte leur avait apporté des livres de coloriages, un tas de feuilles blanche et une trousse contenant des feutres afin de les occuper. Emmitouflés dans leurs vêtements d'hiver, une écharpe remontée jusque sur leur nez, ils ne mouftaient pas.

Des adolescents se trouvaient aussi assignés sur une chaise, des moues ennuyées accablant leur visage. Ils avaient l'air de vouloir être ailleurs – et c'était compréhensible. Trop vieux pour traîner avec les petits, mais pas assez impliqués et matures pour discuter avec les adultes sans rien faire d'autre. Certains étaient parvenus à déjouer la surveillance de leurs parents, et pianotaient sur leur téléphone portable, plus ou moins dissimulés sous les tables.

Un garçon en particulier attira mon attention.

Ses cheveux blonds captaient la lumière des bougies allumées un peu partout, alors que son regard parcourait l'assemblée avec attention. Ses yeux clairs – bleus ou vert, j'étais trop loin pour le dire –, passaient sur les membres de sa meute sans s'attarder, balayant les visages.

De temps à autre, le gamin se retournait et observait les environs, faisait mine de basculer sa chaise en arrière, en équilibre précaire sur deux pieds, afin de lever les yeux sur les toits. Par deux fois, je le vis détailler l'entrée principale du village.

Deux hypothèses me vinrent à l'esprit devant ce comportement. Soit cet enfant était intelligeant, et se savait en potentiel danger ; quelque chose attaquait sa meute et ils étaient à découvert. Soit il attendait quelqu'un.

D'un coup de coude contre le bras de Joyce, j'attirai son attention sur le môme en le désignant du menton.

— Qui est-il ?

L'archère posa les yeux sur l'ado en fronçant les sourcils. Elle me répondit sans cesser d'observer les alentours.

— Erwen. Le fils unique de l'Omega.

Même si elle ne me vit pas, je hochai la tête sans rien dire, intégrant l'information.

D'ordinaire, il était assez rare que les loups de ce rang – le plus bas de l'échelle – aient l'autorisation d'avoir des enfants. Au sein de la meute, être Omega était un poste peu enviable, mais néanmoins indispensable à sa survie. En outre, ce n'était pas comme s'il avait choisi de le devenir. Il était né ainsi, au même titre que d'autres naissaient Alpha ou Gamma. La génétique, c'était une sacrée merde à comprendre.

Souvent vu comme un souffre-douleur, l'Omega permettait d'assurer l'équilibre de la meute. Son être s'interposait instinctivement entre les hostilités afin de faire baisser les tensions, n'hésitant pas à se placer au cœur des querelles – souvent musclées.

En y pensant, c'était une place terrible, mais nécessaire afin d'apaiser les autres loups.

De l'autre côté de la tablée, Kit chipotait du bout de sa fourchette un morceau de tourte encore fumante. J'interceptai l'échange de regards qu'il partagea avec Dorian. Sans rien dire, l'ado redressa le dos dans une posture moins avachie et termina son assiette avant de se resservir.

Lorsque l'étrange gamin blond se pencha sur le côté pour dire un truc à son voisin de table, que je n'entendis pas, je me tendis. Tout en parlant, il avait glissé une pomme dans la poche centrale de son sweatshirt, avec la plus grande des discrétions. Le mot « diversion » me vint même à l'esprit.

Lorsque l'homme à ses côtés hocha la tête, et que l'adolescent se leva, je descendis de mon perchoir pour le suivre. Joyce resta à sa place, mais je sentis son regard interrogateur entre mes omoplates. Mes pieds glissèrent sur les tuiles recouvertes de neige sans un bruit, et je me réceptionnai dans le mince espace entre deux maisons.

Tout en restant à bonne distance, je le pistai comme un potentiel ennemi. Sa jeunesse ne signifiait rien pour moi, j'avais arrêté des gamins suceurs de sang à l'aspect encore plus poupins que lui. Dans mon travail, j'avais fini par apprendre qu'on mourait bien souvent lorsqu'on se fiait aux apparences.

Dans cette montagne, au moins une personne trahissait la meute ; jusqu'à ce que je parvienne à les disculper un par un, les membres des White Mountains seraient tous coupables, et ce gamin ne ferait pas exception.

Il se dirigeait vers la maison de Ian et de ses parents. Même de nuit, le chemin emprunté la veille avec Dorian était reconnaissable. À l'écart à cause de la présence du bétail, c'était la seule demeure à la ronde.

Pourquoi avait-il besoin de venir ici maintenant

Sortir les griffes T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant