La maison de Franklin était petite mais cossue. L'aura propre aux Omégas imprégnaient les lieux jusque dans les fondations. Pourtant, la colère de ma louve ne diminuait pas – elle s'était simplement mise en veilleuse de manière temporaire. Elle ne voulait pas être ici. Elle voulait courir, chasser, mordre et hurler. Hurler jusqu'à s'en briser les cordes vocales.
L'homme me guida vers la chambre d'Erwen afin que je puisse m'imprégner de son odeur, et je me retrouvai au beau milieu d'une chambre d'ado banale. Les effluves de transpiration et de déodorant mêlés me firent plisser les narines.
Je déplaçai du bout du pied un tas de fringues au sol et reportai mon attention sur le bureau. Il croulait sous des piles de cahiers et de feuilles en vrac. Des bouquins posés les uns sur les autres dans un équilibre précaire menaçaient de tomber. Pas d'ordinateur, notai-je mentalement.
— Qu'est-ce qu'il étudie ? m'enquis-je en m'emparant d'un schéma glissé entre deux feuilles recouvertes d'une écriture irrégulière.
L'image technique ressemblait à un appareil médical, annoté et légendé. Comme ceux qui se reliaient à des perfusions dans les hôpitaux, qui injectait du sang ou du liquide à l'aide de pompe, de tuyaux et de grandes engrenages mobiles.
Resté sur le pas de la porte, Franklin affichait une moue inquiète.
— Il suit à distance les cours du lycée de la ville.
Je lui montrais le schéma en me tournant à demi vers lui.
— Je ne suis pas une experte en études, mais c'est un peu avancé pour des cours de lycée, non ?
Il ouvrit et referma la bouche plusieurs fois, comme s'il ne savait pas quoi dire. Il secoua la tête et répondit :
— Il y a quelques temps, Erwen n'arrêtait pas de me tanner pour que je lui prenne des cours avancés de sciences médicales. Mais les coûts étaient beaucoup trop élevés pour nous. Il n'avait plus que cette idée en tête. Il est vrai que, du jour au lendemain, il a arrêté de m'en parler. Je pensais qu'il s'était résigné... Mais je ne pensais pas qu'il ferait ses propres recherches de son côté. C'est un gamin avec une bonne tête, celui-là. Pas comme moi.
Je retournai le schéma et découvris un article de journal avec pour titre : « Une machine innovante pour transfuser un patient avec son propre sang arrive dans les hôpitaux ».
— Puis-je vous demander pourquoi vous pensez qu'Erwen a été enlevé ?
— Il n'est pas rentré de la journée, et personne ne l'a vu.
Pensivement, je hochai la tête en reposant l'article sur le bureau et triturai du pied des aiguilles de pin sur le sol. Disséminées près de chaussures montantes abandonnées sur le parquet, elles étaient sèches et marrons – ici depuis un moment.
— Vous avez essayé de voir avec ses amis ? demandai-je en relevant la tête, balayant la pièce avec un œil posé.
— Il n'en a pas beaucoup, mais les jeunes que j'ai croisés m'ont dit qu'ils n'avaient pas vu Erwen depuis un certain temps.
Dans cette chambre, le merdier était partout, du sol au plafond. Même le lit défait était recouvert de trucs, les draps à-moitié tombés au sol. Mais curieusement, le rebord de la fenêtre, laissé vide, attira mon attention. Je m'en approchai en plissant les sourcils, et fit courir mon index dessus. Pas de poussière ici. Épais d'une vingtaine de centimètres, il aurait pourtant fait un parfait dépotoir. Pourquoi n'y avait-il pas de bazar ou de bibelot, là-dessus ?
— Vous permettez ? m'enquis-je ouvrant la fenêtre sans attendre sa réponse.
Les battants s'ouvraient vers l'intérieur, et je réalisai que si des objets s'étaient trouvés sur le rebord, il aurait fallu tous les déplacer pour ouvrir les vitres en grand. Sauf que, vu l'odeur ambiante, cette pièce n'était jamais aérée. En suivant mon instinct, je me penchai en avant pour observer en contrebas. Le vent me piqua les joues, s'engouffra à l'intérieur et j'inspirai profondément. Au sol, des buissons qui avaient connu un jour meilleur tentaient de survivre, écrasé par le poids de la neige – ou de quelqu'un sautant régulièrement dessus.
Je me redressai et refermai la fenêtre en réfléchissant.
— Peut-être que ses amis ont mentit pour le couvrir ? supposai-je en me frottant les bras.
Tandis que je posai une hanche contre le rebord, Franklin secoua la tête en pinçant les lèvres.
— Je ne pense pas. Erwen est un gentil garçon, mais il n'est pas très à l'aise avec ses semblables. Il préfère les animaux.
Je repensais à la fois où je l'avais pisté en le prenant pour le coupable, le soir des obsèques de Dave. Il était allé offrir une pomme à Crétine, la jument du défunt – pas sûre du nom, néanmoins.
— Je vois, murmurai-je en hochant la tête. Aurait-il eu une raison de partir de lui-même ? (Je montrai la fenêtre derrière moi du pouce.) Par-là, par exemple ?
Désemparé, l'homme leva les mains en signe de méconnaissance.
— Je ne pense pas, mais les jeunes... (Son soupir tremblant me fit grimacer.) C'est difficile, tout seul, vous savez.
— Vous êtes courageux, Franklin. Ne vous inquiétez pas, je vais aller jeter un coup d'œil dans la forêt. Et si quelqu'un s'est emparé de lui, on le retrouvera.
— Mais si... ? commença-t-il avant de s'arrêter.
— S'il a été transformé de force ? proposai-je en constatant qu'il n'arriverait pas à prononcer les mots fatidiques.
Mutique, il hocha simplement la tête.
— Nous avons trouvé une solution temporaire pour Tina, elle devrait s'en sortir. Louis a réussi à reprendre sa forme initiale, nous avons bon espoir. Nous espérions que nous attraperions le coupable avant qu'il ne puisse réitérer, mais Dorian m'a viré. Je vous aide à retrouver votre fils, et je crois que je mets les voiles.
— L'imbécile.
Je pivotai dans sa direction en haussant un sourcil. Il parlait de son Alpha-Vénéré-De-Mon-Cul, quand même.
— Tout à fait, campa-t-il en relevant le menton. Une action bien idiote, si vous voulez mon avis. M'enfin.
Je m'étais assez imprégné de l'odeur du garçon pour pouvoir la reconnaître si je venais à la croiser dans la forêt. Je m'éloignai du rebord de la fenêtre d'une impulsion de la hanche.
— Effectivement, approuvai-je. Je vais aller jeter un coup d'œil dehors.
Je quittai la maison de l'Oméga, échappant à la brume d'inquiétude qui entourait le père, et me dirigeai droit vers l'extrémité du village.
En passant devant la maison de Dorian, l'unique ampoule allumée attira mon attention. Je n'étais pas dans le bon axe pour en être totalement certaine, mais je suspectais que quelqu'un se trouvait dans l'atelier à l'étage. Et pas besoin d'être devin pour deviner qui. Qu'il peigne mon dos en train de s'éloigner !
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Sortir les griffes T1
ParanormalDorian Morff est le plus horripilant de tous les Alphas de cette foutue planète. C'est le premier constat qu'a fait Dalaena après leur désastreuse rencontre. Excellent membre de la Guilde, c'est tout naturellement - et contre son gré - qu'elle est e...
