Chapitre 25

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Je retrouvai Kit à côté de la fontaine, qui m'attendait en essayant d'attacher un holster de cuisse autour de sa taille.

— Où as-tu trouvé ça ? m'enquis-je en détaillant la lanière de cuir. Ce n'est pas un des miens.

— C'est le Bêta qui me l'a donné. Skaï est en place devant la cave.

— Tu es en train de l'attacher au mauvais endroit, glissai-je en le dépassant.

Il jura en le faisant tomber, et je l'interpellai alors qu'il se baissait pour le ramasser.

— Attends. C'est inutile, Kit. Tu ne peux pas venir avec moi. J'ai bien compris ton laïus sur mon statut temporaire de reine Alphaïque, mais c'est non. Que tu saches te battre ou non, ça reste trop dangereux. J'ai promis à ton père qu'il ne t'arriverait rien. Rentre chez toi, d'accord ? Ferme à double tours derrière toi et continue Breaking Bad tranquillement. Avec la magie... c'est toujours problématique. Je ne pourrais pas me concentrer si tu es dans le coin.

Malgré son visage soudain fermé, l'ado hocha à contre-cœur la tête.

— OK, consentit-il à dire. Mais je veux être le premier averti de ton retour, et je veux être présent quand tu délivreras mon père.

— Ça me va, acquiesçai-je en lui tendant la main, qu'il serra en retour.

— Fais attention à toi, Dalaena de la Guilde.

— Je survivrai, ne t'en fait pas.

En voyant qu'il hésitait à me dire quelque chose, je lui demandai :

— Autre chose ?

— Tu vas l'éliminer ? m'interrogea-t-il à brûle-pourpoint.

— Tu veux parler d'Erwen ?

Il hocha la tête.

— Pas si je peux l'éviter. Ce n'est pas à moi d'appliquer la justice, tu sais.

Ses yeux furent traversés par un soulagement teinté de tristesse.

— C'était mon ami... avant. Les Oméga m'ont toujours fait un peu de peine. J'aimerais bien qu'il ne soit pas tué, il a seize ans, comme moi.

— Je te promets d'essayer de le garder en vie, bonhomme. Maintenant, file et rentre chez toi.

La surprise me fit hoqueter quand il me serra brusquement dans ses bras. Aussi vite qu'il s'était approché, il s'éloigna et j'attendis qu'il me fasse signe depuis la fenêtre du salon pour faire demi-tour.

Je dégainai mon poignard et m'enfonçai dans la forêt en suivant le chemin que j'avais emprunté plus tôt pour sortir de la grotte. Avec un peu de chance, j'y trouverai les deux comparses tranquillement installés et prêts à être délogés. Le cas contraire, j'y trouverai sûrement des indices qui me mèneront à eux et qui m'avaient échappé lorsque j'étais en train de taper comme une acharnée sur la chaîne qui me retenait captive.

Comme un fantôme, je zigzaguai entre les arbres sans un bruit. La fraîcheur de l'air m'engourdissait le visage, la neige crissait sous mes semelles. Le silence était assourdissant et l'odeur de la sève des pins se mêlait à celles des animaux s'y étant frottés plus tôt.

Malgré ma concentration, mes pensées s'envolèrent vers Dorian. Je l'imaginais en proie à la douleur de la transformation, à la sensation d'être manipulé, et mon rythme cardiaque s'emballa. Comment pouvait-il bien se sentir ? J'en avais une vague idée en repensant au récit glaçant de Louis, et j'accélérai franchement le pas.

J'arrivai aux abords de la grotte en courant, et je me forçai à ralentir pour ne pas me faire repérer. Lorsque j'entendis des personnes échanger à voix basse, je me plaquai contre un arbre en pinçant les lèvres. L'écorce rugueuse m'entailla la main ; je refermai aussitôt le poing, priant pour que mon odeur ne me trahisse pas. Heureusement pour moi, le vent était pour le moment à mon avantage et je croisai les doigts pour qu'il ne change pas de direction de sitôt.

Immobile, je laissai passer une minute avant de tenter une approche et de jeter un coup d'œil sur le côté.

Le choc de ce qui se jouait sous mes yeux me laissa pantoise, le souffle coupé.

Hormis Erwen et la jeune sorcière qui se trouvaient là, devant l'entrée de leur repère, un pentagramme, qui n'était pas là ce matin, avait été tracé sur le sol mystérieusement déneigé. De nouveau, et vu l'aspect et la couleur des lignes, des litres de sang avait encore servi.

Le plus étrange était la personne qui se tenait debout au centre de l'étoile, et qui psalmodiait des mots que je ne comprenais pas. Comme si Erwen s'apprêtait à jeter un sortilège, alors même qu'il était un métamorphe dénué d'une telle capacité.

Le grognement que fit soudain le jeune homme interrompit sa litanie.

— Ça ne marche pas ! s'écria-t-il en jurant. Il lutte fort.

Entendre de sa voix que Dorian résistait de manière acharnée me rassura un peu.

— Tiens, proposa la sorcière en s'approchant d'Erwen, prenant garde à ne pas marcher sur le pentacle sanglant. (Elle avait un tuyau fin et transparent à la main.) Utilisons directement ceci. Tirer profit de la magie directement à sa source augmentera ta puissance.

Une fascination morbide me poussa à les observer, le corps figé par l'effroi.

La jeune femme enfonça sans difficulté une extrémité du tuyau dans le creux de son coude, et le sang s'échappa aussitôt de son corps, rythmé par ses battements de cœur. C'était exactement comme si elle était en train de faire une prise de sang, et le gamin attrapa l'autre bout du tuyau afin d'imiter son geste. Il perfora la peau de son poignet sans aucun souci.

Le cœur au bord des lèvres, je compris enfin ce qu'il se tramait au cœur de la meute des White Mountains.

Ce gamin usait de la magie d'une sorcière par le biais de son sang, et c'était là une situation totalement interdite. Comment son loup pouvait-il le laisser faire une telle absurdité sans se révolter ?

Il fallait que j'intervienne, les pouvoirs du sang pouvaient se révéler bien trop dangereux et incertains pour laisser ce connard d'ado les manipuler à sa guise.

Son but était de prendre le dessus sur Dorian ? Très bien, mais il en était hors de question, et j'allais faire tout mon possible pour l'empêcher de dominer la meute à sa place. Ceci était tout bonnement inconcevable. L'imaginer en train de s'entraîner avec ses précédentes victimes me donnait des envies de meurtres.

Le dos contre le tronc, je pris une profonde inspiration pour calmer mon rythme cardiaque.

Et, lorsque je pivotai pour leur faire face, mon poignard tourbillonna droit vers eux en sifflant. Sa trajectoire fut parfaite, le fin tuyau se rompit en répandant un flot de sang sur le sol.

Des exclamations surprises brisèrent le silence. Je croisai leurs regards, témoignant de la colère brute qui les habitait.

Rien à foutre, ce n'était qu'un pâle reflet par rapport à la haine que, ma louve et moi, ressentions à cet instant.

Sortir les griffes T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant