Chapitre 28 (1/2)

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— Ils ont besoin de soins, vite !

Toutes les actions qui suivirent se passèrent dans un enchaînement flou, entrecoupées de phases de divagation, d'hallucination et, paradoxalement, d'une lucidité particulière par moment.

Je me savais allongée sur un plan dur, et les odeurs d'herbes séchées qui m'entouraient me faisaient penser à la boutique du shaman. La pénombre qui embrumait mon esprit était salvatrice. Peut-être était-ce ses mains que je sentais sur moi, qui me palpaient à la recherche de blessures.

— Et son poumon ?

C'était la voix de Dorian. Cinglante et tendue, l'émotion qu'elle contenait me pénétra jusqu'aux os. Ma louve eut un sursaut, comme un maigre regain d'énergie, puis retomba dans les limbes de l'inconscience.

Je n'entendis pas la réponse du shaman, mais quelque chose comprima mes doigts, comme si on les serrait avec la rage du désespoir.

Une chaleur m'enveloppa, un souffle sur mon cou, et quelques mots prononcés contre mon oreille :

— Accroche-toi, Dalaena. Tu as sauvé mon fils. Mon fils, et la meute entière.

Je fus surprise de réussir à ouvrir les yeux, étonnée d'être toujours en vie. Le lustre en verre coloré qui me surplombait fut la première chose que je remarquai. Les attrape-rêves qui y étaient accrochés ne trompaient pas, j'étais bien chez le shaman.

Comme pour effleurer l'extrémité d'un ruban rose pâle, je levai un bras. La douleur qui explosa dans mon épaule me fit gémir. J'avais l'impression d'avoir été passée au mixeur, la moindre partie de mon corps se trouvait dans un état lamentable.

— Bon sang, Dalaena, tu es réveillée. Ça va ?

Au ralenti, je pivotai le cou sur le côté. Dorian était assis sur une chaise à mon chevet, sa main tenait la mienne et il avait l'air débraillé de ceux qui ont veillé toute la nuit.

— En pleine forme, marmonnai-je en me forçant à respirer calmement pour limiter la douleur au niveau de mes côtes. J'ai l'impression d'avoir été écrasée par une motoneige. Puis par un tank.

Le rire qu'il produisit me fit tourner franchement la tête dans sa direction. La sincérité de son soulagement me stupéfia.

— C'est presque ça, me dit-il en repoussant une mèche de mes cheveux en arrière.

Penché ainsi au-dessus mon visage, nous nous regardâmes pendant un instant, laissant le silence combler ce qui ne pouvait être dit. Il me sourit et un ange passa.

Dorian m'aida à me redresser. J'étais sur la table au centre de la boutique, et les sacs en jute qui la recouvraient d'ordinaire avait été jetés au sol, les herbes et les feuilles séchées étaient répandues sur le sol, complètement mélangées.

— Comment va Kit ? m'enquis-je en grimaçant quand un pincement me comprima la poitrine. (Il me tendit un verre d'eau et je m'en emparai comme du Graal, des deux mains.) Merci.

— Il va bien, grâce à toi.

Le soulagement me recouvrit comme une douce couverture. Je reposai le verre contre mon genou, détaillant les cernes violettes qui lui assombrissaient les yeux. Alors que je réfléchissais à la meilleure façon de lui annoncer qu'il était dans un sale état, les mots qu'il prononça m'ébranlèrent :

— Tu as maîtrisé le pouvoir d'Alpha comme une cheffe de meute.

Je baissai le regard sur la marque qui recouvrait l'intérieur de mon poignet, comme un parfait croissant de lune.

— N'était-ce pas ce que j'étais supposée en faire ? soufflai-je avant de pincer les lèvres.

Son absence de réponse immédiate m'interpella et je reportai mon attention sur l'homme à mes côtés.

— Si, dit-il finalement. Tu as sauvé ma famille. Une fois de plus.

Mes lèvres s'étirèrent en entendant ce tyran admettre que je l'avais bien aidé. Malgré la douleur, je haussai faussement les épaules.

— Disons que Jasper me paye cher pour que je fasse bien mon job.

— Suffisamment ?

Je secouai la tête en souriant. Il me rendit mon sourire et ma louve roula sur le ventre.

— Excusez-moi ? Je peux vérifier l'état des blessures de madame ?

Nous tournâmes de concert la tête en direction de la voix. Assis derrière le comptoir, le shaman nous observait, le menton posé sur le poing.

Je ris – parce que je n'avais pas perçu sa présence. Malgré mon piteux état, j'étais sacrément heureuse d'être en vie.

D'une pression sur l'épaule, Dorian me poussa à me recoucher sur la table. J'étais si affaiblie que je ne cherchai pas à protester – son sourire de vainqueur m'indiqua qu'il en était parfaitement conscient. Tandis que le shaman me palpait les côtes à la recherche de complication, je lui lançai :

— Tu as vraiment une sale tête. Vous ne dormez pas dans ces foutues montagnes ?

Alors qu'il aurait pu rebondir en me renvoyant l'insulte, il dit :

— Seulement quand les nôtres sont tirés d'affaire.

Contre mon flanc, les doigts du shaman s'immobilisèrent durant une seconde, avant de reprendre leur palpation comme si de rien n'était. Puis Dorian enchaîna :

— Toi aussi tu as une mine affreuse, d'ailleurs. On dirait que tu es tombée du haut d'un de tes gratte-ciels.

Évidemment. Cet Alpha était bien trop prévisible.

Sortir les griffes T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant