Épilogue (2/3)

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Le menton tremblant, je me forçai à serrer les mâchoires.

— Elle souffrait.

— Toi aussi, ma puce.

Je haussai les épaules en mordant ma lèvre inférieure.

— Moi, je vais m'en remettre. Elle, elle s'est tellement renfermée sur elle-même que je n'arrive plus à rien.

Je vidai le whisky en une gorgée, m'emparai du verre encore intact de Mæve, et lui fit emprunter le même chemin.

Elle s'empara de ma main et la serra fort. Cela me réchauffa le cœur et je lui adressai un sourire tremblant. Ma copine m'avait atrocement manqué. Le DJ enchaîna avec un tube de Florence + The Machine, et les notes mélancoliques me déchiraient les entrailles.

Je baissai les yeux sur ma peau en sentant les doigts froids de mon amie sur mon poignet.

— Elle est encore là, constata-t-elle en effleurant la marque qui s'y trouvait toujours, aussi intacte que le premier jour.

— Elle est encore là, confirmai-je en regardant le barman glisser un parapluie rose dans mon nouveau verre.

— Ce n'était pas une marque temporaire ?

Son incompréhension était justifiée.

— Si.

J'étais physiquement présente dans ce bar trouvé par Mæve, mais mon esprit était perdu bien ailleurs. Quelques paroles de la musique parvinrent à percer le brouillard de mon cerveau, et je grimaçai. Entre mes doigts, la petite ombrelle fut réduite en morceaux.

« Shower your affection, let it rain on me,

And pull down the mountains, draw your cities to the sea.

Shower your affection, let it rain on me,

Don't leave me on this white cliff.

Let it slide down to the, slide down to the sea. »*

Je m'imaginai un instant à la place de cette femme, qui hurlait au ciel de ne pas la laisser sur cette falaise blanche, qui m'implorait de trouver un dieu assez grand pour porter tout son amour, un si grand qu'il pourrait l'amplifier de l'intérieur. La rage qui s'échappait de sa voix, en se mêlant parfaitement à la douceur de son timbre, provoquait une chair de poule sur mes bras. Pour une raison qui m'échappait, cette musique faisait curieusement écho en moi.

Mæve me tira de mon introspection.

— Ça va bientôt faire six mois, ma belle.

Je pris une profonde inspiration.

— Je sais.

Je ne le savais même que trop bien. Chaque jour était un véritable enfer depuis que la neige avait disparue du champ de vision de mon rétroviseur.

— As-tu eu des nouvelles de... lui depuis ?

Je secouai la tête et pris une gorgée, grimaçant devant le goût infâme du spritz.

— Je n'ai pas cherché à en avoir.

— Peut-être qu'il est dans le même état que toi.

Cela me fit mal de l'imaginer, mais j'avais l'esprit encore lucide malgré les boissons que j'avais ingurgité.

— Je ne pense pas. Il a été clair, à ce sujet.

Elle descendit de son tabouret pour me prendre dans ses bras, et je posais la tête contre son épaule.

— Oh, ma puce.

Elle resta là à me serrer contre son corps glacé pendant un long moment. Mon regard se perdit sur le bol de cacahuètes, que ni elle ni moi n'avions touché.

Les musiques s'enchaînèrent, la piste de danse se clairsema, les lumières se tamisèrent, et nous restâmes ainsi jusqu'à ce que le barman s'excuse de devoir nous dire de partir.

M'apaisant par sa simple présence, je me raccrochai au bras de Mæve lorsque nous déambulâmes dans la nuit. Nous fîmes un détour par le parc qui longeait le lac Michigan, et je me concentrai sur les clapotements agités de l'eau.

Nous nous assîmes sur un banc en profitant du souffle du vent sur nos visages. Un groupe d'ados bruyants au loin attira mon attention. Ils devaient avoir à peu près l'âge de Kit. La douleur que je ressentais au fin fond de la poitrine ne me quittait plus.

— La semaine prochaine, je pars en mission à Littleton, dis-je d'une voix étranglée.

Dans le ciel, aucune étoile n'était visible à cause de toute la pollution lumineuse de la ville.

— Est-ce que c'est une mauvaise nouvelle ? À t'entendre, on dirait que c'est terrible.

Je relevai les jambes et posai le menton sur mes genoux.

— C'est une ville dans le New Hampshire.

— Tu veux dire que...

Je frottai le bas de mon visage contre mon jean rugueux lorsque j'acquiesçai.

— Juste à côté des White Mountains, ouais.


Baigne ton affection, verse-la sur moi et efface les montagnes, dessine tes villes depuis la mer. Baigne ton affection, verse-la sur moi, ne me laisse pas sur cette falaise blanche, laisse-la couler au plus profond de la mer », Big God, Florence + The Machine, 2018

Sortir les griffes T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant