— Ne marchez pas là ! m'exclamai-je un instant plus tard en retenant l'Alpha par ce qui passa à proximité – la capuche de sa veste.
Il m'adressa un regard noir, mais contourna effectivement les traces de sang sans rien ajouter. Avec mon téléphone portable, je commençai par prendre des photos de la scène, et demandai distraitement :
— Qui est Ian ?
— Un ami de mon fils. Ses parents gèrent les bêtes pendant l'hiver. Oliver et Stacy.
Je regardai autour de moi. Des arbres, des arbres et encore des arbres.
— Leur maison est à l'écart pour éviter que les odeurs du bétail viennent titiller les appétits de vos loups ?
L'Alpha resta de marbre devant ma déduction.
— C'est exact. J'attends toujours de voir vos compétences.
Enfoiré.
— Minute, papillon, rouspétai-je en faisait passer mon corps par-dessus l'enclos comme un gymnaste avec un cheval d'arçon. Ça arrive.
Soudain terrorisées, les chèvres se mirent à bêler de concert, et se plaquèrent contre les barrières les plus éloignées. À mesure que j'avançais, les animaux se déplaçaient pour maintenir une certaine distance entre elles et le prédateur. Le loup est entré dans la bergerie.
Je pianotai sur mon portable, et me dirigeai vers les deux piques dressées, plus à l'écart. À bonne distance, Dorian me suivait de ses yeux argentés.
La tête de ce bouc avait quelque chose de maléfique, plantée ainsi sur ce bâton. Son odeur musquée embaumait sur quelques mètres à la ronde, et j'avalai la salive qui avait envahi ma bouche. Je n'avais rien mangé aujourd'hui, et ma louve avait un faible pour les bovidés. Et certains canidés, aussi, glissa-t-elle d'une voix enjôleuse. Je ne poussai pas le vice jusqu'à jeter un coup d'œil à Dorian pour vérifier s'il était toujours aussi séduisant.
Après quelques clichés, je reculai de quelques pas pour observer la scène morbide dans son ensemble. Mes bras se croisèrent quand Dorian me rejoignit sans un mot.
Ce tableau s'imprima dans ma tête, chaque détail ayant son importance. Une goutte de sang se formait au niveau du cou déchiqueté de l'animal, grossissant à vue d'œil. Elle n'allait pas tarder à tomber, victime de la gravité. Cela ne manqua pas, et je suivis son mouvement des yeux.
La perle écarlate s'éclata dans la neige, formant une multitude de projections autour d'elle.
— Que voyez-vous ? demanda-je en m'agenouillant à côté.
— Du sang qui coule d'une tête coupée ?
— Coupée, vous êtes sûr ? (Je fis claquer ma langue contre mon palais.) Non. Les bords sont trop irréguliers, c'est moche et dentelé. C'est l'œuvre d'une mâchoire, plutôt. Même une scie émoussée aurait fait un travail plus propre. Pauvre bête, chuchotai-je en caressant le front froid et poilu.
Quand je me retournai, Dorian me fixait. Il pinça les lèvres, et hocha la tête.
— Vous ne regardez pas assez loin, repris-je en utilisant ses propres mots. Regardez plutôt comme un loup le ferait.
Dorian s'exécuta. Je le vis renifler l'air, comme pour analyser les odeurs. Je m'y étais déjà essayée. Seul le bouc et l'odeur de son sang flottait dans l'air.
Aucune trace de pas ne sautait aux yeux. Ni humaines, ni animales. Un flot de sang laissait deviner l'endroit où la bête avait perdu sa tête, se débattant jusqu'au bout.
Du coin de l'œil, je voyais Dorian patauger dans la semoule. Je lui tendis mon téléphone. Du pouce et de l'index, j'avais zoomé une photographie.
— C'est ça que vous auriez dû voir en premier.
Dorian écarquilla les yeux, et compara la photo au réel. Il hocha à contre-cœur la tête en me rendant l'appareil. Un cercle peu profond se trouvait au pied de chacune des deux piques, comme si quelque chose s'était retrouvé posé ici. Il ne l'avait pas remarqué.
— Bien joué, consentit-il à balancer.
— Merci, répliquai-je en lui adressant un sourire étincelant, complètement forcé.
Une demi-seconde plus tard, je replaçais mon masque de mauvaise humeur. L'Alpha n'était pas dupe. Il avait le même sur la tronche. Je repris :
— Reste à savoir d'où viennent ces traces. Ça ne devait pas être trop lourd, la neige fraîche se serait enfoncée sous le poids, le cas contraire.
— Des seaux ? suggéra Dorian tournant la tête vers la maison, où Ian et ses parents les observaient par la fenêtre.
Je lui coulai un regard en biais, un peu étonnée.
— Peut-être. Ce n'est pas con.
— Merci, railla-t-il.
Il ne poussa pas le bouchon jusqu'à m'adresser un sourire, lui. Un bref répit dans les bêlements des animaux me permit de réfléchir. Bouc, bouc, bouc. Que connaissais-je des boucs ? Je parcourus du regard les différents enclos. Des chèvres, des moutons, trois vaches, des cochons, de la volailles... Pourquoi repartir avec les deux boucs ?
Une soudaine illumination, sortie tout droit des connaissances de mon passé enfoui, ressurgit. Un peu tordu, mais pourquoi pas. Une hypothèse parmi d'autres.
— Ça ne vous évoque rien ? demandai-je, les mains sur les hanches.
Un sourcil haussé lui répondit.
— Ça devrait ?
Je soupirai en gonflant les joues.
— C'est une manie, chez vous, de répondre soit par une autre question, soit par un sarcasme ?
Dorian m'adressa un sourire digne d'une publicité pour dentifrice, qui m'infligea un coup aux poumons. Une seconde plus tard, le coin de ses lèvres retombait comme un soufflé. Trop drôle, en effet. Faux-cul, toi-même.
— Comme vous, visiblement.
J'acceptai le compliment.
— Tout à fait.
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Sortir les griffes T1
ParanormalDorian Morff est le plus horripilant de tous les Alphas de cette foutue planète. C'est le premier constat qu'a fait Dalaena après leur désastreuse rencontre. Excellent membre de la Guilde, c'est tout naturellement - et contre son gré - qu'elle est e...