Chapitre 24 (2/2)

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Il bredouilla quelques mots inintelligibles, et je sursautai lorsqu'il se laissa tomber sur les genoux.

— Kit !

La tête inclinée, comme en signe de respect, il articula farouchement :

Detur tibi pratum, occurremus et currimus iuxta latus tuum.

— Kit, soufflai-je, alarmée et mal à l'aise devant son attitude déférente. Relève-toi, qu'est-ce qu'il te prend ?

Il frappa son poing serré contre son cœur en se relevant. Son visage était des plus sérieux.

— Que viens-tu de dire ?

— Du latin. C'est une formule de respect propre à notre meute. Ça pourrait sûrement se traduire en quelque chose comme... « la prairie te sera donnée, nous nous rencontrerons et courrons à tes côtés ». Enfin, je crois.

— Kit...

— Ça veut dire que je t'accepte au cœur de la meute, te reconnais comme femelle Alpha et que je serai ravi de courir à tes côtés pour te protéger.

Je m'étranglai avec ma salive en entendant ce gosse me dire de tels mots. En l'entendant me jurer une telle fidélité, une telle reconnaissance... avec une telle ferveur brûlant dans ses jeunes yeux.

Une boule douloureuse se forma dans ma gorge, et je mentirais en affirmant qu'entendre de telles paroles ne me faisait rien. J'étais devenue une louve solitaire depuis tellement d'années... Et Kit était en train de m'accepter dans sa meute, dans sa famille, après un simple coup d'œil à la marque sur ma peau. Il vouait une telle confiance en son père, au choix qu'il avait fait, et en moi, que cela me toucha au plus profond, comblant un creux de mon âme dont j'ignorais jusque-là l'existence.

Et, alors qu'elle n'avait pas manifesté de signe de vie depuis que Dorian avait évoqué le mot fatal de « marque temporaire », ma louve sortit enfin la tête de sa tanière. Elle avait toujours bien apprécié le jeune garçon, et entendre de sa bouche qu'il la reconnaissait en tant qu'Alpha lui faisait secouer la queue. Elle s'imaginait déjà courir avec lui dans les prés.

— Oh, Kit...

L'émotion rendait ma voix tremblante, et je le pris rudement entre mes bras pour qu'il ne puisse pas voir mes yeux larmoyants.

Les mains sur les épaules, je le repoussai et le tint à bout de bras. Les lèvres serrées, je secouai la tête pour lui faire comprendre que, malgré l'apparente beauté de ce qu'il avait à proposer, cela ne serait pas possible.

— C'est seulement une marque temporaire, tu sais, lui dis-je doucement. Elle ne sera plus là d'ici quelques jours et...

— Alors, pourquoi ? s'écria-t-il dans un sursaut. Pourquoi mon père t'a-t-il fait cette marque si c'est pour qu'elle n'existe plus d'ici peu ? C'est ridicule et c'est nul ! Sacrément con, même !

Le voir dans un tel état me fit mal au cœur, et je réalisai soudain que ce grand garçon souffrait atrocement de l'abandon de sa mère.

— Si Dorian m'a fait cette marque, expliquai-je en baissant les yeux sur mon poignet, c'est uniquement pour que je puisse me retrouver au même rang que lui. Lorsque Louis était prisonnier de la magie, c'est la force de l'Alpha qui lui a permis de redevenir lui-même. Uniquement l'ordre et le pouvoir de Dorian, Kit. Mais si ton père devient prisonnier à son tour d'un tel maléfice...

Kit hochait lentement la tête, le regard perdu. Une tristesse avait assombri ses traits, et je m'en voulu de ne pas être en mesure d'honorer ses espérances.

— Seule sa compagne peut user de son influence sur l'Alpha en personne, grommela-t-il. Je sais. Mais cette idée reste complètement nulle.

— Je suis désolée, bonhomme, ajoutai-je à voix basse.

Kit roula des épaules en inspirant, comme pour changer de sujet.

— Très bien. Qu'est-ce qu'on fait, alors ? On attend que mon père se zombifie ou on va casser la gueule de la sorcière tout de suite ?

— Toi, tu ne fais rien du tout, c'est hors de question. Mais moi, oui, je vais aller casser la gueule de la sorcière.

— Mais...

— Toi, tu restes ici, coupai-je. C'est dangereux.

Comme aurait pu le faire Dorian, son fils bomba le torse en me récitant ses responsabilités :

— Que cette marque soit temporaire ou pas, là, maintenant, tu restes mon Alpha. C'est ce que me hurle le motif sur ton poignet. Et il est hors de question, me singea-t-il en reprenant mes mots, que je laisse la femelle de mon père aller braver le danger sans assistance.

— Bordel, parvins-je seulement à dire, tu es bien le fils de ton père. Très bien, fonce faire un topo à Skaï, et dis-lui de surveiller les portes de la cave. Qu'il te téléphone si jamais ton père merde malgré-lui.

Le sourire qu'il afficha en courant vers la porte me flanqua les jetons. Je secouai la tête en retournant auprès de mon sac d'armes, me préparant mentalement au combat qui allait éclater. Il fallait à tout prix que je sorte de mon esprit la scène qui venait de se dérouler, seule l'issue favorable de l'assaut devait être mon objectif.

Mon expérience sur le terrain me hurlait d'opter pour la plus grande des prudences. Et pour cause, les manipulateurs de magie noire ne jouaient jamais franc-jeu.

Le pire était à venir, il n'y avait pas là de « sûrement » ou de « probablement ». C'était certain.

Le pire était à venir.

Sortir les griffes T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant