Lorsque je passai les portes de la bibliothèque, la vieille mégère pinça les lèvres, comme si j'étais un de ses problèmes récurrents. Avant même que je ne franchisse le portique anti-vol – oui, oui, comme au supermarché –, elle avait levé les mains en l'air et braillé :
— Ah, non, non. Débrouillez-vous toute seule !
Je lui adressai mon plus faux sourire en la dépassant.
— Merci bien, Dino Dolly.
Son expression outrée m'apprit qu'elle avait tout à fait compris mon allusion à son âge préhistorique.
Je me surpris à déambuler à-travers les allées tapissées de livres sans réellement m'en rendre compte. Qu'étais-je venu faire ici ? Quelque chose dans ce bâtiment avait attisé mon attention, et la disparition de ces trois adolescents tiquait mon instinct de chasseuse.
Je dépassai un enfant affalé sur un pouf, qui lisait à voix haute une revue sur les paons, imperturbable face aux remontrances de sa mère.
— Maxime, il ne faut pas faire tant de bruit dans une bibliothèque. Regarde, tu gênes la dame !
Comme j'étais la seule dame à proximité, je tournai la tête vers eux. La femme me suppliait du regard de ne pas la contredire.
— Ah voilà ! chuchotai-je un poil trop fort en m'emparant du premier bouquin à ma portée. J'ai failli le rater ! Ce... « Petit guide de survie pour réparer un moteur ».
Je le glissai sous mon bras en souriant à la femme, et le gamin fronça les sourcils devant mon choix.
— C'est nul votre truc.
— Maxime ! s'offusqua la mère.
— Le tien n'est pas mieux, répliquai-je en plissant les yeux. On verra ce que tu seras obligé de te taper quand tu auras une vieille bagnole toute pourrie.
La mère avait buggée, la bouche ouverte.
Pour échapper à son sermon, je me dépêchai de mettre de la distance entre nous, au moins trois allées. Je m'arrêtai pour jeter un coup d'œil au livre que je tenais. Le destin était une sacrée salope.
Je levai les yeux, hésitant presque à reposer ce bouquin n'importe où. Dolly apprécierait le geste, à n'en point douter. Cette idée me fit presque sourire, et j'eus un nouvel instant de doute en avisant le rayon devant lequel que je tenais.
Religions.
Un pan de mur était réservé à différents exemplaires de livres de prières, et je reposai machinalement le Petit guide de survie pour réparer un moteur sur un chariot qui traînait là. Les tranches des ouvrages donnaient un aperçu monochrome, et, pourtant, mon regard fut attiré par un bouquin en particulier.
Ils étaient tous parfaitement alignés, à l'image des dents de George Clooney, mais un seul était à l'envers. Et il n'avait rien à faire ici, l'ordre alphabétique ne concordait pas.
Intriguée, je l'attrapai.
« La Bible de Jérusalem » était écrit en grosses lettres rouges.
Un ruban pouvait servir de marque-pages, et j'ouvris le livre où celui-ci était placé. Parcourant rapidement les lignes du regard, je me figeai, les doigts écartés sur le cuir usé. Pendant une seconde, je ne crus pas à ce qui s'étalait devant moi, et mes paupières battirent plusieurs fois avant de s'écarquiller.
« Il recevra de la communauté des enfants d'Israël deux boucs destinés à un sacrifice pour le péché. Aaron prendra ses deux boucs et les placera devant Yahvé à l'entrée de la Tente du Rendez-vous. Il tirera les sorts pour les deux boucs, attribuant un sort à Yahvé et l'autre à Azazel. Aaron offrira le bouc sur lequel est tombé le sort « À Yahvé » et en fera un sacrifice pour le péché. Quant au bouc sur lequel est tombé le sort « À Azazel », on le placera vivant devant Yahvé pour faire sur lui le rite d'expiation, pour l'envoyer à Azazel dans le désert. »
Le passage des boucs émissaires. Bordel de merde !
Le choc me poussa à lire la suite, même si je la connaissais déjà.
« Il immolera alors le bouc destiné au sacrifice pour le péché du peuple et il en portera le sang derrière le rideau. Il procédera avec ce sang comme avec celui du taureau, en faisant des aspersions. Il fera ainsi le rite d'expiation sur le sanctuaire pour les impuretés des Israélites, pour leurs transgressions et pout tous leurs péchés. »
Trop obnubilée par ma découverte, je ne remarquai pas la mère et son fils passer à mes côtés, malgré le boucan que fit le gamin.
« Une fois achevée l'expiation du sanctuaire, de la Tente du Rendez-vous et de l'autel, il fera approcher le bouc encore vivant. Aaron lui posera les deux mains sur la tête et confessera à sa charge toutes les fautes des Israélites, toutes leurs transgressions et tous leurs péchés. Après en avoir ainsi chargé la tête du bouc, il l'enverra au désert sous la conduite d'un homme qui se tiendra prêt, et le bouc emportera sur lui toutes leurs fautes en un lieu aride. »(3)
Les probabilités pour que le tueur soit passé ici pour se remémorer la Bible, étaient minces. Mais les alarmes de mon instinct s'étaient déclenchées, et faisaient un tel tapage qu'il m'était impossible de les ignorer.
Déterminée, je refermai d'un coup sec le livre, et retournai auprès de Dolly à l'accueil. Obnubilée par son écran d'ordinateur, elle ne détourna son attention que lorsque je fis claquer – malheur ! – l'ouvrage de Dieu contre le bois lustré. Avec lenteur, elle regarda le livre, puis remonta les yeux le long de mon bras avant de, finalement, m'accorder une miette d'attention.
— Prenez garde avec votre brutalité, jeune fille.
Je fermai une seconde les paupières. Ne pas lui sauter à la gorge. Non, très mauvaise impression. Puis je lui adressai mes plus sincères excuses :
— Oups. Il m'a échappé des mains.
Elle balaya mes mots en reniflant avec dédain.
— Que puis-je faire pour vous, cette fois ?
De l'index, je poussai le livre un peu plus près de la vieille mégère.
— Il me faudrait le nom de la dernière personne qui a emprunté ce bouquin.
À contre cœur, je rajoutai même :
— S'il vous plaît, madame Dolly.
Avec lenteur, elle cligna des paupières. Puis elle baissa la tête et me regarda par-dessus ses lunettes en écaille de tortue.
— C'est confidentiel. (Elle secoua la tête, à la limite de l'hystérie interne.) Non, mais ! Et si vous désirez l'emprunter, il faut s'acquitter de l'abonnement annuel. Avec vos frais de dossier, le montant s'élève à vingt-cinq dollars. Nous n'acceptons pas les cartes bleues.
Je m'approchai de la banque d'accueil jusqu'à ce que la pointe de mes chaussures bute contre le bois, et plaquai mes paumes de part et d'autre de la Bible. Ce cerbère m'agaçait au plus haut point, et ma louve était à deux doigts de manifester sa présence dans mes prunelles.
Je me penchai plus être au plus près de Dolly, et articulai pour bien me faire comprendre :
— Je ne suis pas venue dans ce bled paumé, dans cette bibliothèque miteuse, pour pimenter mes vacances. Vous n'êtes pas au courant qu'une bête sauvage et détraquée déglingue un par un les membres de votre meute ? Vous voudriez peut-être être la suivante sur sa liste ? J'enquête à la demande de votre Alpha, pour vous aider.
Je m'emparai de la pauvre Bible, et la fis claquer une seconde fois contre le bureau. Dans le genre mélodramatique, on avait déjà vu mieux. Sans reprendre ma respiration, j'enchaînai :
— J'ai besoin de savoir qui a eu accès à ce livre, et vous allez me donner des noms, Dolly ! De gré ou de force, je vous le garanti.
(3) « La Bible de Jérusalem », par Saint Mathieu, n° d'édition : 14133, « Ancien Testament, Le Lévitique, Le grand jour des Expiations », chapitre 16, p.171
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Sortir les griffes T1
ParanormalDorian Morff est le plus horripilant de tous les Alphas de cette foutue planète. C'est le premier constat qu'a fait Dalaena après leur désastreuse rencontre. Excellent membre de la Guilde, c'est tout naturellement - et contre son gré - qu'elle est e...