Chapitre 20 (2/2)

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J'accélérai le pas en fulminant. J'espérais sincèrement qu'il était en train de peindre un paysage morbide et déprimant – ou pire, qu'il n'ait plus aucune inspiration.

Je failli me faire un croche-pied toute seule en repensant au magnifique portrait qu'il avait fait de mon visage, embellissant chacun de mes traits. Un grand malade.

Me secouant pour focaliser ma concentration, je me forçai à reprendre mes esprits. Ce n'était vraiment pas le moment de faiblir. Si Erwen avait bel et bien été enlevé, il y avait fort à parier qu'une nouvelle créature pourrait se montrer d'ici peu.

Délaissant les lumières artificielles du village, la noirceur de la forêt reposa mes yeux. Quelques minutes suffirent à mes rétines pour s'habituer. Certes, je ne voyais pas comme en plein jour, mais bien assez pour ne pas me cogner contre les troncs d'arbres ou pour contourner sans souci les irrégularités du sol enneigé.

Aux aguets, sur les gardes, je tournai ainsi durant plusieurs heures.

Je ne rencontrai aucune empreinte suspecte, les seules odeurs que je pus analyser furent celles d'animaux, et personne ne me sauta dessus pour me déchiqueter en petits morceaux.

Alors que je m'apprêtai à rebrousser chemin pour annoncer à Franklin que je n'avais aucune nouvelle de son fils, une respiration rauque sur le côté m'interpella.

Je me figeai tandis que mon rythme cardiaque s'accélérait. En me concentrant pour définir la provenance de ce son, je me laissai guider par mon ouïe. À quelques mètres sur la gauche, tout droit.

La forme sombre, prostrée au pied d'un pin, me fit presser le pas.

— Erwen !

Une épaisse cape brune le recouvrait de pied en cap. Il avait complètement baissé la capuche sur son visage pour se protéger du vent glacial, si bien que j'aurais aisément pu passer à côté sans même le remarquer.

Sur le coup, l'absence totale d'odeur ne me perturba pas.

Je tombai à genoux à ses côtés.

— Tout va bien, gamin ? demandai-je en tendant le bras pour repousser la capuche qui le masquait.

Mais non ! Le visage féminin qui me fit face me fit littéralement tomber à la renverse.

— Bordel ! Mais tu es qui, toi ?

Devant le regard terrifié de la jeune femme, j'effectuai aussitôt une pirouette en arrière pour me redresser sur mes jambes. Je dégainai mon poignard d'un geste adroit, tournant sur place pour sécuriser les environs.

Âgée d'une vingtaine d'années, elle semblait pourtant aussi faible que mon grand-père. Son nez saignait, et son corps tremblait sous la cape.

— Me suis échappée, grelotta-t-elle.

Je baissai mon arme en constatant que nous étions seules, et m'agenouillai à ses côtés.

— D'où ?

— Je sais pas.

Elle tremblait tellement que ses dents s'entrechoquaient, et son visage était recouvert de crasse.

— Y avait-il un garçon à tes côtés ? Un peu plus jeune que toi, avec des cheveux blonds ?

— Peut-être. Possible, je ne me souviens pas.

— Son nom est Erwen, ça ne te dit rien ?

Elle secoua la tête. Son regard exprimait une telle détresse que je me penchais au-dessus d'elle pour l'aider à se relever.

C'est à ce moment-là, alors que je me trouvais si près d'elle, que je remarquais enfin sa totale absence d'odeur.

Sur mes gardes, je lâchai aussitôt cette fille et le craquement que j'entendis dans mon dos me fit faire volte-face. Comme un poids mort, probablement trop affaiblie par sa fuite, j'entendis son corps frêle rouler sur le côté. D'un coup d'œil, je remarquai qu'elle s'était évanouie.

Le vent me porta la signature d'Erwen, et je soupirai.

— Dieu merci, c'est toi, gamin. Tu vas bien ? Ton père s'inquiétait.

— Ça va, marmonna-t-il avec le flegme typique des ados. Il s'inquiète toujours pour rien.

— Tu veux bien m'aider à transporter cette fille au village ? Elle est dans les vapes, mais elle a eu le temps de me dire qu'elle s'était échappée d'un endroit. C'est vraiment louche, si tu veux mon avis, constatai-je en attrapant le corps inconscient sous les aisselles pour la redresser en position assise. Que faisais-tu dehors à cette heure ? m'enquis-je en entendant les pas du gosse se rapprocher.

Le coup que je reçus à l'arrière du crâne m'envoya au sol. La douleur éclata jusque derrière mes yeux, descendit le long de ma colonne vertébrale, et puis ce fut le noir total.

La neige détrempa probablement mes habits, mais je ne sentis absolument rien.

Petit enfoiré, aurai-je sûrement craché si j'en avait été capable.

Sortir les griffes T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant