— Suivez-moi.
Je détournai le regard de la foule avec force. J'avais repéré l'arc qui avait failli me faire un trou dans la cervelle. Il était entre les mains d'une femme aux fossettes prononcées, qui m'observait comme si elle allait venir me dépecer d'une seconde à l'autre. Le même regard que toutes les autres personnes. Même le gosse sur la fontaine avait une expression haineuse sur le visage.
— Qu'est-ce qu'ils ont ? Pourquoi nous regardent-ils comme ça ? m'enquis-je auprès de l'Alpha, lorsque je fus certaine que mes yeux étaient redevenus verts.
— Pas nous. C'est vous qu'ils regardent. Suivez-moi, répéta-t-il.
Comme je ne bougeai pas, trop obnubilée par la haine qui s'échappait de la foule par vagues acides, il me prit par le bras. L'intention était honorable, mais je m'éloignai d'un bond, mon bras plaqué contre ma poitrine. Je parvins de justesse à retenir ma louve de feuler dans sa direction. Il ne manquerait plus que ça pour que les autres me sautent dessus.
— Je vous suis, marmonnai-je en le devançant même si j'ignorais la direction à prendre.
— C'est de ce côté, dit-il en illustrant son propos sans m'attendre.
Je me retournai pour lui emboîter le pas, mes yeux s'arrêtant sur chacun des visages présents sur la place. Un homme cracha par terre, le regard braqué au mien.
Je relevai le menton en soutenant leurs préjugés. En le suivant docilement, je serrai les poings. Les enjambées de l'Alpha étaient proportionnelles à sa taille – trop grandes. Je trottinai pour le rattraper.
Il avançait tout droit, sans se retourner pour vérifier si je le suivais. Évidemment que je le suivais. On ne désobéissait pas au grand Alpha. Mon cul !
Nous grimpâmes une volée de marches en bois. Du gros sel y avait été parsemé pour ne pas glisser, et les grains crissèrent sous mes semelles.
L'Alpha ouvrit la porte d'un coup sec, ne faisant que trois pas avant de s'arrêter. Je le suivis sans mot dire, pénétrant le seuil de la maison qui devait être la sienne, au vu son odeur qui saturait complètement l'air.
Une aura différente entoura soudain l'homme, piquante et acide. Une odeur que je ne connaissais que trop bien. Monsieur est en colère.
Lorsque je refermai la porte d'entrée derrière moi, Dorian me plaqua aussitôt contre celle-ci, mon visage écrasé contre le bois lustré. Sans douceur, il s'aplatit contre mon dos, les doigts appuyés sur ma nuque.
Même enveloppée dans son odeur de mâle dominant, épicée et sensuelle, je n'avais rien perdu de mes réflexes. Et cette position de soumise n'était clairement pas à mon goût.
Ma dague s'était interposée entre nous, et si le loup s'avançait encore, il finirait eunuque. Tout contre mon oreille, le souffle brûlant, il gronda :
— Pars et ne reviens jamais.
— Si tu ne veux pas que j'annonce à tes loups qu'une place d'Alpha est à pourvoir, tu ferais bien de me lâcher, persiflai-je, dédaignant tous les endroits où nos corps étaient en contact.
Le ton que je venais d'employer n'était pas de ceux qu'on adoptait pour s'adresser à un loup de son rang, mais je n'en avais rien à cirer. Les lois de la meute ne s'appliquaient pas à ma condition. Les doigts incrustés dans ma peau se resserrèrent, m'obligeant à ployer le cou.
— Tout de suite, menaçai-je malgré ma position, les poumons compressés contre la porte.
Dorian Morff ne bougea pas.
Enfin si, il ondula des hanches contre mon couteau, insolant – et sensuel, bon Dieu.
Très bien.
En prenant appui contre la porte, je propulsai avec force son épaule en arrière, percutant du muscle. Le loup fut suffisamment surpris pour qu'il recule de quelques centimètres, juste assez pour que je puisse déplier mon bras. Du coude, je le frappai à la mâchoire en lui faisant face. Le craquement qui résonna me fit sourire.
Le deuxième coup que je préparais fut intercepté par un avant-bras aux veines bien dessinées. Nous nous immobilisâmes de concert. Par-dessus nos membres emmêlés, je croisai son regard d'acier.
— Tu es une louve solitaire qui n'a rien à faire dans notre meute, gronda-t-il en retroussant les lèvres, exactement comme l'aurait fait la bête qui se tapissait dans ses entrailles.
— Je suis un agent de la Guilde, corrigeai-je en montrant à mon tour les dents. Envoyée pour vous aider, à votre demande.
Au fil des années, j'avais appris à mettre en avant mes capacités plutôt que mon héritage de solitude.
Dorian repoussa mon bras avec un mouvement agacé, reculant d'un pas.
— C'est non. Tu ne peux pas rester là. Il nous faut un autre agent. (Une pause.) Et, s'il n'y en a pas, nous nous débrouillerons seuls.
Débarrassée de sa proximité étouffante, je levai les bras devant moi. Ces loups ne voulaient pas d'elle ? Très bien.
— Comme vous voudrez, crachai-je. Je me casse de ce bled pau...
Je fus coupée par des pas précipités dans la maison, quelque part à l'étage supérieur, et une voix inquiète qui appela :
— Papa ! C'est Ian ! Il a un prob...
L'adolescent qui avait déboulé des escaliers s'était figé en plein mouvement, son téléphone portable en l'air. Ses yeux s'écarquillèrent devant ma mine mauvaise.
— C'est qui ?
Dorian coula un regard dans ma direction. Il secoua la tête, presque correctement confus.
— J'ai oublié votre prénom.
— Quelqu'un qui partait, grognai-je en appuyant son propos d'une main sur la poignée.
— Ian a un problème ! enchaîna le gosse, ma présence déjà oubliée.
L'urgence qui débordait de sa voix glissa sur moi comme de l'eau sur un parapluie. Je quittai la maison et refermai la porte en silence dans mon dos.
— Je n'ai pas besoin de vous, singeai-je d'une grosse voix, tout en posant mon cul sur le rebord de la balustrade, toujours sur le perron.
Je croisai les bras sur ma poitrine, écoutant la conversation du père et du fils à travers la porte. L'Alpha viendrait me chercher la queue entre les jambes, j'en étais certaine. Je n'en étais pas à mon coup d'essai.
— Calme-toi, Kit. Que se passe-t-il ?
En sentant mon bas-ventre se tordre sous les mots de l'Alpha, je serrai les cuisses en me maudissant d'être une pauvre femme esclave de ma pauvre louve en chaleur. L'Alpha avait une voix faite pour pratiquer des choses cochonnes au téléphone. Il faudrait que je raconte ça à Mæve – enfin la deuxième partie. La première, celle qui concernait mes réponses corporelles, serait précieusement passée sous silence.
— C'est Ian. Il a un mauvais pressentiment. Les animaux sont agités, et il y a du sang étalé dans la neige !
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Sortir les griffes T1
ParanormalDorian Morff est le plus horripilant de tous les Alphas de cette foutue planète. C'est le premier constat qu'a fait Dalaena après leur désastreuse rencontre. Excellent membre de la Guilde, c'est tout naturellement - et contre son gré - qu'elle est e...
