Chapitre 2 (2/2)

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— Dis-lui de rester à l'intérieur, je vais aller voir avec Dalaena.

La porte d'entrée s'ouvrit à la volée, et Dorian se figea en plein mouvement. Sa surprise fut rapidement remplacée par un masque de convenance. Mais aussi fugace eut-elle été, je n'en avais pas raté une miette. Intérieurement, ma louve et moi jubilions.

— Je croyais que vous aviez oublié mon prénom, attaquai-je en relevant un sourcil.

L'Alpha imita mon expression. De quoi je me mêle, semblait-il dire.

— Et je croyais vous avoir entendue dire que vous partiez.

Il appuya une épaule sur le chambranle de la porte, et croisa les bras.

— Je ne peux pas. (Je sautai sur ses pieds, chassant la neige de mes fesses.) Ma voiture est cassée. On y va ?

Sans briser notre lien visuel, Dorian se recula et tendit le bras sur le côté. De mauvaise grâce, il me jeta un long manteau, doublé à souhait. Il me frôla sans un mot pour descendre les escaliers en bois.

Dans son dos, je souriais, fière de ma connerie.

Je croisai le regard interrogateur de l'ado à travers la fenêtre, alors que je remontais la fermeture Éclair jusqu'à mon menton.

Un clin d'œil plus tard, j'étais aux côtés de l'Alpha, les mains dans les poches.

— Vous êtes en train de vous exciter pour des bêlements de biquettes ? demandai-je en penchant la tête sur le côté, le bout de mes chaussures touchant le portillon de l'enclos des animaux.

— Non.

Les traces de sang au milieu des empreintes de sabots laissaient deviner que de pauvres bêtes avaient été attaquées. Il ne fallait pas être un agent spécial pour en venir à cette conclusion.

— C'est probablement une bête sauvage qui avait faim. C'est courant ces choses-là. Regrettable, mais assez courant. Un ours ou un lynx. Ce n'était pas nécessaire d'appeler la Guilde, vous...

— Vous ne regardez pas assez loin, coupa le loup.

D'un signe de tête, il me montra une autre direction, à l'orée de la forêt.

Deux piques ensanglantées s'élevaient du sol gelé.

Sur l'une d'elle, la tête d'un bouc était plantée. Son œil à la pupille rectangulaire était écarquillé sur du vide, et du sang glissait le long du bout de bois. Le second bâton, à côté de l'autre, avait son extrémité écarlate, comme si une autre tête s'était trouvée là elle-aussi.

— Alors ? s'enquit Dorian en se tournant vers moi. C'est toujours une bête sauvage ?

J'avançai les lèvres dans une moue pensive, les yeux braqués sur les piques flippantes.

— Nan, marmonnai-je de mauvaise grâce. Définitivement, nan.

Détachant le regard de la tête décapitée, je m'avançai vers Dorian, la main tendue. Je me préparai à la sensation désagréable de toucher un autre métamorphe – et lui, tout court. Enfin, s'il le voulait bien.

— Dalaena, agent spécial de la Guilde, branche de Chicago.

Il n'esquissa pas la moindre intention d'amorcer un mouvement pour m'éviter un gros vent.

Je bougeai les doigts pour attirer l'attention du loup sur ma main levée. Il baissa les yeux dessus, avec une lenteur exaspérante. Quand il les planta de nouveau dans les miens, il haussait un sourcil.

— Ma voiture est morte, ajoutai-je. Autant mettre à profits mes compétences en attendant le garagiste, vous ne croyez pas ? Elles sont nombreuses, renchéris-je.

Les lèvres de l'Alpha s'étirèrent, et il secoua la tête, comme s'il ce qu'il s'apprêtait à faire était une énorme boulette. Ça ne l'était pas, en plus. J'étais vraiment douée.

Sa paume chaude et calleuse se referma autour de la mienne, une épée de Damoclès dessinée dans ses yeux clairs. L'électricité qui se forma lorsque nos doigts s'entremêlèrent fut inattendue, violente et inopinée. Dorian aussi le sentit, j'en aurais mis mon bras à couper. Ses lèvres entrouvertes ne trompaient pas, comme s'il s'était soudain figé en pleine respiration.

Frissonnante, je relevai rapidement le regard – qui s'était égaré de lui-même sur sa bouche sensuelle –, évitant ainsi la vision de sa langue pointant pour l'humidifier.

Sur le cul, je ne trouvais rien à dire.

— Dorian Morff, Alpha de la Meute des White Mountains, dit-il finalement.

Nos doigts restèrent en contact une seconde de trop pour cela puisse passer pour une poignée de main banale.

Les pupilles de l'Alpha se rétrécirent avant de laisser paraître celles de son loup. Cet éclat argenté, d'une beauté terrifiante, ne trompait pas. Tel le prédateur qu'il était, Dorian parvenait à me menacer dans prononcer un seul mot. Un écart et on renverrait mes restes à Jasper, dans une jolie boîte. Message reçu. Mais non accepté.

En réponse, provocante, je laissai ses yeux virer au gris, exactement comme lui. Je ne parvins pas à m'en empêcher.

Un loup normalement constitué se serait aplati devant cette manifestation de pouvoir, de dominance, l'échine courbée. Mais pas moi – évidemment. La hiérarchie de la meute de s'appliquait pas à ma louve solitaire et sans attache.

Dorian gronda, et un éclat passa furtivement dans son regard. Pas content, le loup ?

Me muselant, je me retins néanmoins de l'imiter une seconde fois. J'étais insoumise, pas suicidaire. Pousser le bouchon plus loin aurait été une insulte, un affront qui ne serait pas resté sans conséquence.

Ma louve n'aimait pas se trouver ici. Fouler le territoire d'autres congénères l'insupportait.

En revanche, l'Alpha Dorian Morff était à son goût, il sentait très bon. Oh, nan, ma grande. Surtout pas.

À ces mots, je retirai ma main comme si sa peau l'avait brûlée.

— J'attends de voir, gronda le loup d'une voix basse.

— Voir quoi ? répliquai-je comme une sombre idiote, les mains plaquées sous mes aisselles.

— Les autres compétences que vous avez mentionnées.

Figée durant une seconde devant ce qu'il venait de dire, je m'infligeai une claque mentale pour bouger. Pour faire quelque chose, n'importe quoi. Et comme soudain muée d'un ressort au fondement, je le dépassai en vitesse pour me rapprocher de la scène morbide au loin. 

Ouais, pour cacher tes joues rouges, surtout, non ?

Sortir les griffes T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant