Chapitre 17 (1/3)

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Assise dans la cuisine, perchée sur un tabouret haut, je soupirai. L'enquête était au point mort. Penchée sur la fiole retrouvée sur Dave, je la fixai comme si elle pouvait me livrer les réponses que j'attendais.

Kit était parti à l'étage prendre sa douche, et je surveillai d'un œil la casserole d'eau que j'avais mise sur le feu. Elle frémissait à peine.

J'étais tellement perdue dans ma vaine analyse que je sursautai lorsque le téléphone sonna dans le salon, un son strident digne d'une sonnerie de grand-mère. Dorian rentra au même moment et je l'entendis décrocher.

En sentant une vague glaciale émaner de lui, je sautai du tabouret et me rapprochai pour l'avoir dans mon champ de vision. Il braqua son regard au mien comme pour m'empêcher d'avancer.

— Qui la demande ?

De nouveau, une onde de magie électrique me percuta, tordant mon ventre. S'il avait pu, son loup aurait bondit de ses iris pour me bouffer toute crue.

— Vous êtes son mec ?

Je fronçai les sourcils devant cette conversation. Lorsque Dorian me tendit le combiné, le visage aussi fermé que lorsqu'il avait compris que quelqu'un trahissait sa meute, je le pris machinalement. Je cherchai son regard, mais il détourna les yeux. Ses dents étaient si serrées que l'angle de sa mâchoire semblait à deux doigts de se briser.

Dans la casserole, l'eau était à deux doigts de déborder, mais tant pis.

— Ton mari.

— Mon... hein ?

Mais déjà, Dorian avait disparu à l'étage.

— Allô ? fis-je dans le téléphone.

— Beauté ?

— Brett, tu es vraiment un connard. Qu'est-ce que tu lui as raconté encore ?

Un craquement résonna dans le combiné, comme si mon interlocuteur s'installait confortablement dans son vieux fauteuil.

— Ooooh, jubila-t-il en ricanant. Le grand méchant loup en pince pour la biquette boiteuse ?

Je me rapprochai de la fenêtre, aussi loin que le fil emmêlé que le permis.

— Arrête tes conneries, coupai-je, pas du tout. Dorian n'a rien d'une biquette boiteuse. Que me vaut le plaisir d'entendre ta si douce et fourbe voix ?

— Le coven de Portland. J'ai... (il fit une pause, comme pour chercher un mot approprié) trouvé...

— Fureté illégalement ? proposai-je plutôt.

— Oui, c'est bien, je te remercie. J'ai fureté illégalement sur le web, et j'ai découvert qu'une étudiante ne se pointe plus à ses cours de sorcellerie depuis quelques semaines. Il n'y a plus aucune trace d'elle à son campus, comme si elle était partie du jour au lendemain.

— Tu sais où elle se trouve ?

— Pour qui tu me prends ? Ton niveau de confiance en moi me vexe.

— Pauvre choupi, navrée. Alors ?

— Sa carte bancaire a été utilisée dans un Walmart à Littleton, petite ville à la limite nord des White Mountains.

— Qu'est-ce qu'elle a acheté ?

— Mes compétences ne vont pas si loin, chérie. Je sais juste qu'elle en a eu pour... 23,96 dollars, dit-il après quelques clics. Elle s'appelle Ellen Wirlova. Vingt-quatre ans.

— Ellen Wirlova, répétai-je. Merci, Brett.

— Je vous en prie, maîtresse.

— Brett ?

— Oui ?

— Arrête de dire à tout le monde que nous sommes mariés, d'accord ? Si tu recommences, je détruirai ton ordinateur à coup de massue. Et je ferai en sorte de filmer la scène pour te la repasser en boucle pendant des heures et des semaines. C'est compris ?

— Parfaitement capiche, chérie. Salut ! Gros poutous, chuchota-il rapidement avant de raccrocher.

Fermant les yeux devant son immaturité pourtant attachante, je reposai le combiné en réfléchissant.

Ellen Wirlova. Je m'approchai d'un tableau pense-bête accroché au mur, et attrapai la craie qui pendait au bout d'une ficelle. J'écrivis son nom avant de réfléchir, le regard braqué aux lettres blanches.

En entendant les bruits suspects qui émanaient de la cuisine, je m'y précipitai en courant, désespérée à l'idée que je ne maîtrisais toujours pas la cuisson des pennes, malgré mes vingt-six années de vie. M'enfin. J'avais d'autres qualités.

Le lendemain matin, je ne mis pas longtemps avant de m'apercevoir que ma voiture de fonction avait disparue. De son emplacement sous les arbres, il ne restait que des traces de pas autour des ornières – et une vague odeur de diesel.

D'un pas décidé, je retournai auprès de celui qui était derrière tout ceci – à n'en point douter. Aucun sain d'esprit n'aurait eu l'audace de subtiliser volontairement ce tas de ferraille à peine ambulant.

Dorian avait déjà quitté la maison lorsque je m'étais réveillée ce matin, et je le trouvai sur la place centrale, debout devant le panneau d'affichage. Malgré le silence de mes pas, je vis le moment exact où il perçut ma présence. Bien qu'il restât dos à moi, je notai la soudaine crispation de ses épaules. Ses trapèzes ondulèrent lorsqu'il croisa les bras. Il ne poussa pas l'affront jusqu'à me jeter le regard affligé – celui qui signifiait : « tu fais autant de bruit qu'un troupeau d'éléphants ». Sur le moment, j'appréciai le geste.

— Tu cherches ta voiture, dit-il lorsque j'arrivai à sa hauteur.

Sortir les griffes T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant