Chapitre 10 (1/4)

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Dorian me rattrapa alors que j'étais en train d'adresser mes condoléances à Tina. Elle était accrochée à un grand homme à la peau sombre, coiffé de dreadlocks regroupées sur le haut de sa tête et dont la couleur contrastait avec la blancheur de son T-shirt. Ses yeux noirs étaient emplis de tristesse.

Il avait passé un bras autour des épaules de Tina, et ils étaient debout devant le café. Les larmes perlaient encore sur les joues de la jeune femme, striées de maquillage.

— Dans notre meute, nous faisons un bucher d'offrandes lorsque nous perdons un membre, renifla-t-elle. Dave adorait mes madeleines, je lui en ai fait tout un saladier.

Elle désigna du menton une pile de curiosités posées près de la fontaine.

— Les hommes sont partis couper du bois. Pour...

Compatissant à sa tristesse, je posai ma main sur son épaule.

— Je suis sûre que Dave aurait beaucoup aimé tes gâteaux. Il avait de la chance d'avoir une meute comme la vôtre. Partir entouré des attentions de chacun est un très beau privilège.

Tina m'offrit un sourire tremblotant, et cacha son visage dans la veste en denim de son compagnon. Il me semblait que c'était grâce à lui qu'elle tenait encore debout. L'homme me tendit une main en se présentant :

— Nous ne nous sommes pas encore présentés, mais je tenais à te féliciter pour ton esprit.

Devant mon regard perdu, il continua :

— Je suis Skaï, le Bêta de la meute. Dorian me tient au courant des avancées de l'enquête.

— L'enquête qui est au point mort, tu veux dire ?

L'Alpha prit la parole pour la première fois depuis sa victoire dans les bois :

— En quelques heures, tu as bien plus avancé que nous en plusieurs semaines.

— Ça n'avancera jamais assez vite, et des gens meurent à chaque fois que je passe à côté d'un détail.

Un silence se fit parmi nos mines sombres, et, contre toute-attente, une main se posa sur mon épaule. Le poids me fit sursauter, et mes yeux remontèrent un bras aux veines saillantes avant de tomber sur le visage de Dorian.

— Tu trouveras.

Malgré la situation et le risque possible de récidive, des tables avaient été dressées à l'extérieur, formant un « U » qui encadrait le bucher funéraire. J'avais informé Dorian de mes doutes et proposé une alternative – chacun en sécurité chez soi –, mais il m'avait répondu que c'était une des coutumes de la meute, et qu'il ne pouvait pas y déroger.

Dave méritait ce rite funeste, au même titre que toutes les malheureuses personnes qu'ils avaient perdues au cours des dernières années.

En contrepartie, le Bêta Skaï serait posté aux alentours du rassemblement avec le reste de son équipe. La meute possédait trois Gamma, et chacun aurait donné leur vie pour protéger les leurs. Le besoin de protéger les autres coulait littéralement dans leurs veines.

Jarrod, un homme efficace était déjà en position, apparemment dissimulé près de l'entrée du village. Même en plissant les yeux, je ne parvenais pas à le distinguer dans les ombres. J'ignorai son visage et j'aurais été incapable de le reconnaître parmi les personnes présentes. Je réalisai qu'il allait falloir que j'apprenne au plus vite l'identité des gens qui constituaient cette meute. Pour ce genre de mission, la moindre information était cruciale.

Skaï avait posté June et Joyce, des jumelles qui ne se ressemblait pas du tout, sur les toits. L'une était aussi rousse que l'autre était brune. Selon ses dires, la première maniait l'arbalète à la perfection, tandis que sa sœur utilisait l'arc comme s'il était une extension de son corps. Je n'avais pas demandé de démonstration, je me souvenais parfaitement de la flèche qui avait failli me transpercer, pas loin de trois minutes après mon arrivée.

D'un commun accord, il avait été dit que le corps de Dave, trop abîmé, ne serait pas déposé à même les offrandes, mais qu'il serait plutôt mis à l'abris des regards dans un cercueil inspiré de ceux que fabriquaient les humains pour leurs propres rites.

Toute la meute s'était rassemblée dehors, et je restai à l'écart de la cérémonie intimiste. Je m'étais perchée sur un toit à l'abri des regards, et j'écoutais de loin les discours qui se succédaient. Ma présence n'aurait jamais été acceptée à table avec eux.

Les nuages s'étaient disséminés au fil des heures, et je regardais les étoiles avec admiration, le menton levé.

La vision était magnifique. Partout où je posais le regard, des points lumineux scintillaient. Les nuances de la Voie Lactée apparaissaient avec clarté, et je compris pourquoi notre galaxie avait été nommée ainsi. Le spectacle était unique. Le ciel depuis Chicago n'offrait qu'une vaste étendue sombre. De temps à autre, la lune était visible, mais jamais très longtemps. Des buildings se trouvaient toujours devant sa trajectoire.

Une soudaine odeur de tabac mêlée à quelque chose de chimique m'informa qu'une personne se rapprochait. Je tournai le visage vers la femme qui bondissait d'un toit à l'autre dans ma direction. Ses pieds ne faisaient pas un bruit en touchant la neige qui coiffait les maisons.

C'était la brune, June ou Joyce – j'aurais été incapable de le dire. Un arc et un carquois lui barrait le dos. Elle s'arrêta à quelques pas de moi, et je l'observai tout comme elle le faisait.

Sortir les griffes T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant