Chapitre 16 (1/3)

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Tout en restant à bonne distance, je suivis les deux adolescentes. Nous contournâmes la fontaine et dépassâmes la bibliothèque. Je fronçai les sourcils en les voyant s'engouffrer dans le café de Tina. Que manigançaient-elles ?

Je fis mine de me rapprocher du panneau d'affichage, le seul du village, celui qui avait attiré mon attention lorsque j'étais arrivée ici le premier jour. C'était seulement avant-hier. J'avais l'impression de me trouver coincée dans cet hiver infernal depuis des semaines.

Après un rapide coup d'œil sur le côté, je me penchai sur l'affiche du jeune disparu, celui aux dents tordues. À travers la vitrine, les filles se pressaient devant le comptoir de la boulangerie, Tina montrant ses pâtisseries. Je touchai du bout du doigt le trou qui lui transperçait la joue. La faute à la flèche de Joyce. Celle que Dorian avait fait tourner entre ses doigts, avant de la jeter dans la neige sans me quitter des yeux.

En entendant des pouffements, je relevai la tête. Les adolescentes venaient de ressortir, un petit sachet à la main.

— Ça va lui faire plaisir. Prête ?

— Prête.

Elles pivotèrent et s'engouffrèrent dans le bâtiment juste à côté. Je les suivis, poussant la porte qui n'avait pas encore eu le temps de se refermer.

Je pénétrai dans un lieu d'un autre temps.

Il y avait des étagères du sol au plafond, un comptoir désert se dressait au fond de la boutique, et il y faisait aussi noir que dans un four. Il n'y avait pas de fenêtre et seul le petit vasistas au-dessus de la porte d'entrée laissait entrer un rayon de lumière.

Un carillon tinta à notre entrée et une voix masculine s'éleva d'une pièce au fond :

— J'arrive dans deux minutes !

Pas effrayées par ma présence, les filles firent tranquillement le tour des lieux, me jetant de temps à autre des coups d'œil inquisiteurs. Je les imitai, faisant semblant de m'intéresser aux bâtons de sauges, aux bougies colorées, aux attrape-rêves et aux lampes de sels roses.

Je m'avançais pour sentir les sacs de jute qui contenaient des feuilles de thé en vrac, et éternuai devant ceux des épices. La musique d'un rideau en perles qu'on ouvre attira mon attention, et je découvris un jeune homme d'une trentaine d'années. Habillé d'un châle en laine multicolore, son regard alterna entre les filles et moi.

— J'ai un bon remède contre les éternuements, me dit-il en souriant.

Il s'approcha, attrapa une bourse de feuilles au passage, et une douce odeur marine m'enveloppa.

— Les tisanes d'orties sont très efficaces.

Tout en prenant ce qu'il me tendait, je me forçai à lui adresser un sourire.

— Les filles étaient là avant moi, lui indiquai-je.

Quelque chose se crispa sur son visage, et il leur adressa un coup d'œil.

— Je peux vous aider, mesdemoiselles ?

— Oh, non, non, merci.

— On ne fait que regarder, renchérit la seconde.

Je portai les feuilles d'orties à mon nez, et réalisai que ce n'étaient pas elles qui dégageaient cette odeur étrange. Elle me rappelait celle d'un gel douche.

— Il y a quoi derrière ? demandai-je en montrant le rideau représentant une feuille de nénuphar.

— Rien. Ma salle de pause et des toilettes.

— Je peux vous les emprunter ?

— Je suis navré, elles sont bouchées. Problème de canalisations.

— Vous voulez que j'y jette un œil pendant que vous vous occupez des filles ? Je m'y connais en Destop.

— Oh, non, non !

Les gamines et l'homme s'étaient exprimés en même temps, sur un ton qui attisa ma curiosité.

— Qu'y a-t-il derrière ce rideau ? répétai-je, méfiante.

— Rien, dit-il en se rapprochant, comme pour faire barrage avec son corps. Ce n'est pas une pièce accessible pour la vente.

Je levai les mains devant moi pour m'incliner.

— Comme vous voulez. Qu'est-ce que c'est ? m'enquis-je en attrapant un saladier doré.

— C'est un bol tibétain. Il favorise l'inspiration et la détente. Très utile lors de séance de méditation. Tenez, regardez.

Il s'empara d'un genre de pilon en bois, et frappa sèchement sur le bol en fermant les yeux. Je n'attendis pas que l'occasion se représente : je bondis en avant et me précipitait derrière le comptoir sous les cris effrayés des filles.

Je tombai des nues en pénétrant dans la pièce interdite. Des ficelles du rideau s'accrochaient encore à ma veste et je m'en débarrassai en avançant de quelques pas.

Le chaman se tenait derrière moi, un mélange de colère et de honte s'échappant de lui par vague.

— Sortez d'ici.

Sortir les griffes T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant