Chapitre 4 (2/2)

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Plusieurs heures après avoir rendu l'âme, le moteur n'émettait aucune envie de reprendre du service. Il avait tenu le coup une petite heure, puis la batterie s'était éteinte elle-aussi.

La chaleur du chauffage s'était évaporée depuis belle lurette, et garder la neige qui recouvrait la voiture avait été une bonne idée – elle était plus isolante qu'une seule épaisseur de verre et de métal –, mais rester ainsi à découvert était dérangeant. Tous mes sens étaient en alerte, si bien qu'il m'était impossible de fermer l'œil.

Il y faisait aussi noir que dans un four, et les trente centimètres, voire plus, qui me recouvraient ne me permettraient pas de voir le danger arriver. Mon téléphone portable aussi, n'avait plus de batterie. Jouer à Candy Crush n'avait pas été une idée lumineuse. L'application l'avait sifflée comme une sangsue, le laissant inerte, l'écran noir.

Je me souvenais parfaitement des arbres fantomatiques qui encerclaient la Dacia, toutes les branches tendues dans sa direction comme pour l'attraper et ne jamais la relâcher. Ma louve se sentait à l'étroit dans cet espace confiné, et sa nervosité se reportait sur son humaine – moi. Et je me pèle le cul, surtout.

Le thermos d'aiguilles de pin avait fini sous un siège. Goût pastille pour la gorge, bonjour. Non, merci.

Enveloppée dans l'épaisse couverture, je me tortillai pour jeter un coup d'œil à la banquette arrière. Je me serais bien transformée là-derrière, mais, en cas d'attaque, j'aurais été incapable d'ouvrir la portière avec mes pattes.

Ma décision prise, je serrai les dents en repoussant la couverture. Le loup est un animal de la montagne, me répétais-je en boucle pour me préparer à braver le froid.

Décidée, je me risquai à pousser la poignée. L'air me piqua les joues, et je reniflai lorsque mon nez se mit à couler. Regardant à gauche, à droite, en l'air vers les arbres, je me détendis un peu. Rien ne venait titiller mes instincts. Aucun son ne venait perturber le silence.

Je me transformai en bondissant, seule solution pour conserver sa chaleur. Mes pattes ne firent aucun bruit en touchant la neige, aussi silencieuses que la nuit. Je n'eus aucun regard pour les lambeaux de vêtements au sol. Le pauvre jogging de Dorian se mêlait à mon tailleur-jupe ridicule. C'était un sort bien mérité.

Heureuse de retrouver ce corps si familier et pourtant si différent, je m'ébrouai en fermant les paupières. Ma fourrure, lourde et épaisse, suivit le mouvement telle une vague sur le sable.

Du museau, je refermai la portière. Pour mes oreilles surdéveloppées, le claquement fut semblable à un coup de feu décuplé par les montagnes, tonitruant. En réalité, le bruit fut simplement absorbé par la neige, à peine plus bruyant qu'un caillou tombant sur du coton.

Discrète entre les arbres, je fis le tour du village, m'imprégnant des odeurs environnantes.

La température négative était nettement plus supportable sous cette forme, et la louve que j'étais, satisfaite, agita la queue en balayant la neige.

J'ignorais l'heure qu'il pouvait bien être, mais la nuit était déjà bien avancée. Aucune conversation ne filtrait, aucun bruit, aucune lumière. S'il restait encore des personnes éveillées, elles le dissimulaient à la perfection. Remarque, vu comme elles vivent dans la peur, c'est pas étonnant.

Soudain, comme pour me contredire, une lumière au loin attira mon attention. Intriguée, je m'avançai vers elle, serpentant entre les arbres, laissant volontairement des empreintes partout où je passais. Dissimuler mon passage signifierait que j'avais quelque chose à cacher. Et j'aurais été trahie par mon odeur, de toute façon.

La lumière m'avait menée jusque devant la maison de l'Alpha. Et celui-ci se trouvait juste là.

Seule pièce illuminée de la bâtisse, une baie vitrée dévoilait un atelier de peintre à l'étage. Des toiles s'entassaient partout où on pouvait les poser, et les étagères semblaient à deux doigts de se casser la figure sous le poids des pots de peintures et de pinceaux qu'elles devaient supporter. C'était un sacré bordel là-dedans.

Perché sur un tabouret, le corps caché derrière un chevalet, Dorian était concentré sur sa tâche. Les sourcils froncés, il détaillait la toile sous ses yeux avec intensité, comme s'il l'écoutait lui parler.

J'en fus surprise. Jamais je n'aurais imaginé l'Alpha pratiquer ce genre de passe-temps, et encore moins à cette heure-ci. Je ne l'avouerais jamais, mais j'aurais donné cher pour jeter un coup d'œil à son travail, même furtif. Que pouvait-il bien peindre ? Et comment ?

Les traits de l'homme étaient tirés, mais la fatigue n'entachait en rien sa beauté. Sous l'éclairage de l'atelier, ses cheveux ressortaient encore plus brillants, ébouriffés comme s'il n'avait pas arrêté de passer la main dedans – ou s'il s'était tourné et retourné dans son lit, sans parvenir à trouver le sommeil.

Je l'observai pencher la tête sur le côté pour jauger son œuvre, le buste un peu en retrait. J'étais en train de l'épier à son insu comme une voyeuse, le corps caché derrière un jeune sapin.

Mais, tout à coup, comme s'il avait senti une présence, Dorian releva la tête et regarda droit dans ma direction, par-delà la vitre teintée.

J'étais pratiquement certaine qu'il ne pouvait pas me voir, pas avec un tel éclairage et cette nuit si noire, mais je me figeai pourtant. Contre mes côtes, mon cœur battait à tout rompre. Les muscles de mes pattes s'étaient crispés, comme prêts à affronter... quelque chose. Il ne peut pas me voir, me répétais-je en boucle. Il devait regarder son propre reflet, ce genre de vitre donnait souvent une impression de miroir lorsque le soleil se couchait. Enfin j'espère.

Dans les yeux de Dorian, d'un bleu comme elle n'en avait jamais vu, son loup fit une apparition. Je le vis froncer les sourcils, jeter un coup d'œil à sa toile, puis secouer la tête. Il se frotta ensuite les yeux du pouce et de l'index.

La louve en moi recula d'instinct à pas feutrés, sans jamais perdre le contact. J'entendis à quelques mètres un couple de mulots, et mon estomac me fit tourner le museau dans leur direction.

Juste avant de leur courir après, je jetai un coup d'œil à Dorian, pour une raison qui m'échappa.

L'Alpha regardait de nouveau dans ma direction, un loup d'une intensité percutante dans les yeux.

Effet miroir.

Il ne peut pas me voir.

Je m'arrachai à ce contact imaginaire sans me retourner. Puis je courus jusqu'à en perdre haleine.

Quand je me laissai tomber dans un renfoncement, très éloigné du village, à l'abris du vent et de la neige, mon cœur semblait prêt à exploser.

Plus tard, lorsque mon ventre vide se rappela à moi, ma louve me reprocha d'avoir oublié de chasser les mulots.

***

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Anastasia

Sortir les griffes T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant