Brass 6 : présentations

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D'une manière presque solennelle, il joint ses mains, qui disparaissent sous les larges manches de sa tenue chinoise, et hoche la tête élégamment, avant de se présenter :

— Je suis Liang Nian, enchanté.

Je fais de mon mieux pour lui rendre le geste. Ça ne se fait franchement pas, de nos jours, de s'éloigner des normes de politesse standardes, et très clairement il ne m'a pas donné son nom sous la forme de prononciation standard non plus. Ceci dit, vu son allure, on peut dire qu'il affiche clairement son refus de l'ultra-mondialisation incarnée par l'UFIT, et je me demande brièvement ce qu'il peut penser des Forces Terriennes et des pilotes, politiquement parlant. Quoi qu'il en soit, je veille à respecter son choix et m'applique pour répéter :

— Ravi de te rencontrer, Liang.

Ce qui le fait rire. Dieu qu'il a un joli rire. Il me corrige :

— C'est un nom chinois, le nom de famille est dit avant le prénom. Mon prénom, c'est Nian.

Non, vraiment pas standard, ni dans l'ordre, ni dans les syllabes, qui sonnent à mes oreilles quelque part entre le "a" et le "an". Je tente :

— Nianne ?

— Nian.

Il me faut quelques essais avant de parvenir à un résultat qu'il juge satisfaisant, ou qu'il en ai marre et abandonne, je ne le saurais sans doute jamais. En tout cas ça me plait beaucoup, ce prénom, ça lui va bien. On dirait totalement un chat qui miaule des petits "mia !". Ou un chaton. En tous cas on reste entre adorable et fabuleusement adorable. Je meurs d'envie de lui gratter la tête pour le faire ronronner. Ce que je parviens à ne pas lui dire aussi directement, mais je lâche :

— C'est trop mignon comme prénom, on dirait un chat !

Il se marre encore et me corrige :

— En fait, ça vient d'un monstre, Nianshou, qui a une tête de lion et un corps de taureau. Il vient dévorer les humains tous les ans, c'est pourquoi il faut le chasser à coup de pétards, de rouge et de lumières pour le nouvel an.

Même pas embarrassé de mon inculture crasse, j'ajoute sans réfléchir :

— Ah, je savais bien qu'il y avait un matou dans l'histoire !

À nouveau je me prends un coup de pipe sur le front. Pourtant, je n'ai même pas dit que j'étais volontaire pour me faire croquer quand il voulait. En fait, depuis le coup qu'il m'a fait tout à l'heure, je n'ose plus trop flirter avec lui. Et ça, c'est bien la première fois que ça m'arrive...

Pour lui montrer qu'il n'est pas le seul à avoir un nom qui fait tache, je lui donne le mien en rigolant, le vrai de vrai, avant standardisation :

— Moi c'est Cadell Gwaednerth.

Je guette l'habituelle lueur d'horreur qu'ont dans les yeux tous mes interlocuteurs quand ils tentent de comprendre cette bouillie de syllabe. Mais il est bon, et il bronche à peine avant de dire :

— Je crois que je vais m'en tenir à Cadell. D'ailleurs, ce n'est pas totalement interdit, de donner ton nom à des inconnus ?

— On a le droit quand ils sont mignons. Non, sérieusement, ce n'est pas mon nom officiel, c'est la version galloise. Mes parents sont assez... conservateurs, on va dire.

— Et ils ont fait un enfant roux. Tout se tient. Dommage pour eux que tu ais fini à l'UFIT.

— Bah, ils s'en remettront. Ce sont des parents, ils mettent tout ça sur le compte d'une grosse crise d'adolescence.

L'éternelle batailleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant