Brass 1 : intronisation

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J'avance, minuscule, entre deux rangées de colosses de métal. Perchés sur leurs épaules, les pilotes me toisent sans que je parvienne à déchiffrer leur expression. Pas après pas, inclinaison après inclinaison, je les salue. Tout au bout m'attend mon propre mecha. Le Brass. Le frelon. J'ai toujours su que nous étions destinés l'un à l'autre. Et dans quelques instants, il sera mien et je serai sien.

Mon cœur bat si vite, si fort, que j'arrive à peine à comprendre ce que dit Chrome, le chef d'escadron. Mon chef. J'ai tant rêvé de ce moment que je me croirais presque en plein cauchemar, comme si j'allais d'une seconde à l'autre m'emmêler les pinceaux dans le protocole, me ridiculiser et être renvoyé du prestigieux corps des pilotes avant même d'être entré dans le cockpit. Toute la scène semble si irréelle...

Je m'incline respectueusement devant le corps de ma prédécesseuse. Elle s'appelait Magda. Je le sais, même sans réellement écouter le discours de Chrome, je le sais parce que nous avons été à l'Académie ensemble. Tous les Brass potentiels, nous nous connaissons, car contrairement à d'autres cadets nous ne sommes pas en concurrence. Il y aura de la place pour tous. On nous surnomme les feux follets. On flamboie fort et on s'éteint vite.

Magda est restée pilote pendant six mois, ce qui est pas mal. A présent c'est mon tour. Chrome me déclare officiellement cent trente septième pilote du Brass. Je grimpe dans mon précieux mecha. Et là...

Je sens son cœur de quartan qui pulse doucement. Je vois ses écrans qui m'informent, exactement comme dans le simulateur. Je lui transmets mes instructions directement via les capteurs de ma combinaison, par des micro-gestes. Chrome nous fait un signe. Je suis prêt. Mon cœur bat à trois mille pulsations par seconde au moins, mais je suis prêt. Toute ma vie a été consacrée à atteindre ce moment. Nous nous envolons.

Je ne suis pas dans une machine. Je suis l'impulsion d'un gigantesque corps de métal, si puissant et si gracieux, vif, capable de se jouer de la gravité, du haut et du bas, et sans y prêter attention j'éclate de rire tandis que le Brass et moi filons dans le ciel. Vivants, nous sommes tous les deux si vivants, une seule entité parfaite et fusionnée, prête à atteindre les étoiles !


Très vite – trop vite – il faut redescendre à terre. Le premier vol et la cérémonie sont traditionnels et importants pour l'intégration du nouveau pilote, mais son installation l'est tout autant, et j'ai toute une nouvelle vie à découvrir. Et vite, puisque je dois être opérationnel d'ici quelques jours au plus tard. C'est vraiment à regret que je quitte le Brass, et, encore survolté par l'adrénaline, je me jette à corps perdu dans mon nouvel environnement.

Déjà, ça commence très bien : le sommet de la Tour de l'UFIT, c'est officiellement le paradis du beau gosse. La plupart des pilotes sont restés dans les parties communes pour qu'on fasse connaissance, et je dois m'empêcher de sourire comme un idiot et de baver. Bon sang, je sais que les pilotes doivent assurer un volet marketing important et qu'on ne peut pas se permettre d'en prendre des moches, mais là on a quand même quelques modèles qui ont l'air d'avoir été choisi sur catalogue plus que pour leurs compétences de pilotage. On va vraiment pouvoir s'amuser...

Mon premier coup de cœur va à Chrome. Mince, androgyne, avec une grâce aristocratique qui semble parfaitement inconsciente tandis qu'il exécute je ne sais pas quelle tâche sur son logiciel. Le genre de beauté distante qui donne envie de lui courir après. Et ça tombe bien, il me fait signe de venir lui parler. J'attaque tout de suite par un :

« Salut, Chrome. On t'a déjà dit que tu étais magnifique ?

Il m'adresse un regard étrange. Un mélange de lassitude – en même temps, on le lui dit probablement très souvent – et de tristesse. Il me répond avec une certaine retenue :

L'éternelle batailleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant