Landon 7 : les Utopiales

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Dans la petite embarcation qui achève de nous emmener aux îles Utopiales, je commence à regretter ma témérité. Bien sûr, j'ai peur maintenant, alors qu'il est bien trop tard pour reculer. Nous sommes accompagnés par Genesys, une garde du corps qui travaillait déjà pour ma famille quand je suis né, et deux mercenaires qu'elle a recrutés pour nous guider et nous protéger. Plus le passeur qui nous emmène et jurera ce soir que nous n'avons fait que de la pêche au gros toute la journée. Ce qui ne serait pas une mauvaise idée. On pourrait laisser tomber toute cette histoire et aller à la pêche. L'eau est belle et transparente, le soleil chaud mais pas trop ardent, on n'est qu'à une centaine de kilomètres de l'île tropicale où nous avons loué un hôtel. Ces fausses vacances qui nous servent de couverture me semblent plus tentantes à chaque seconde.

A coté de moi, Chrome pose sa main sur la mienne. Je me concentre sur ce contact. Evidemment qu'il faut y aller. Et nous n'avons pas à nous plaindre, en comparaison de Brass et son dealer, qui sont en exil ici jusqu'à la fin de leur vie.

Cet ici qui compose les îles ne ressemble à rien de ce que j'ai pu connaitre, et plus nous nous rapprochons, moins je parviens à comprendre ce que j'ai devant les yeux. Ce ne sont pas des îles au sens classique, je sais qu'il n'y a ici aucune terre émergée, mais ça ne ressemble pas non plus à des constructions sur pilotis : tout l'ensemble bouge au gré des vagues, ondulant sur la ligne des eaux à un rythme doux. Mais ce ne sont pas non plus des mouvements de bateaux, qui avanceraient par blocs solides. Non, cet amas mouvant ressemble plutôt à une décharge en pleine mer, comme si tous les déchets des océans s'étaient peu à peu accumulés ici au gré des courants, et qu'un étrange ressac circulaire les maintenait ensemble.

Il me faut plus de temps pour distinguer les cordes et les filets omniprésents qui maintiennent tous les éléments assemblés. Et des structures plus massives en dessous. Il y a bel et bien des bateaux, ou du moins des morceaux de bateau, un peu de bois et surtout énormément de coques composites de voiliers de plaisances, découpés et réassemblés. Le tout n'est pas étanche, mais ça flotte, globalement. Je ne vois aucun moyen de navigation et je suppose que l'"île" est fixée au fond océanique, tout proche par ici, d'une manière ou d'une autre. Je suis quasiment certain qu'elle pourrait se faire la malle en cas de danger. Quoiqu'il en soit, tout le système est fascinant et rebutant à la fois, et je commence à avoir hâte de découvrir ça d'un peu plus près.

Nous accostons la structure, qui est bien plus haute que je l'aurais cru, et le passeur souffle dans une trompe au son grave. Des têtes émergent, certains nous inspectent plus ou moins sérieusement, d'autres sortent du matériel de pêche et se mettent à l'ouvrage sans nous prêter attention. Quelqu'un nous envoie de quoi attacher le bateau et une échelle de corde, et nous grimpons sur l'île.

Une fois arrivé, je me rends compte à quel point je me suis trompé. Oui, nous sommes sur une île artificielle, un radeau géant construit de bric et de broc, mais surtout sur une ville. Ou plutôt un bidonville. Des étages sont entassés les uns sur les autres, des ruelles serpentent entre les structures des bâtiments, rien n'est au même niveau et les cabanes flottantes ne cessent de monter et descendre légèrement les unes par rapport aux autres, dans le perpétuel mouvement de la mer. L'eau tient lieu de sol, ici et là, entre les constructions, elle est pleine de déchets et de pièges à rats – dont beaucoup ont déjà rempli leur office. Les oiseaux de mer tentent également d'avoir leur part, prudemment, ce que je comprends lorsque je vois des gamins les abattre au lance-pierre. Certains font pousser des plantes dans des bacs accrochés aux emplacements les plus ensoleillés et protégés par des grillages et des barbelés. Le passage est difficile, il faut presque sauter de plate-forme en plate-forme, ou utiliser les cordages et les filets omniprésents et toujours instables. L'île où nous avons commencé à chercher n'est pas si grande, mais il faudrait des jours pour la fouiller entièrement.

L'éternelle batailleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant