L'éternelle bataille

Felis 12 : Cadell

A bord, je suis le héros du jour. Ou plutôt la dangereuse sirène qui a réussi à attirer un pilote dans ses filets, jusqu'à le capturer. Les plaisanteries graveleuses sur la manière dont j'ai pu m'y prendre vont bon train, surtout au fur et à mesure qu'on fête ma victoire. L'alcool coule à flot et j'offre généreusement ma tournée de poudre de paradis. Et je prends ma dose, en tentant de mon mieux de ne pas me sentir trop coupable pour Brass, enfermé dans la cale, et Tonton, abandonné derrière moi. Ils s'en sortiront. Tonton va fulminer, mais je ne fais que suivre le plan de base, et lui va pouvoir se lancer dans son propre plan de sauver la rébellion des vilains traitres qui l'infiltrent. Et Brass... mon rouquin serait bien capable de s'en sortir tout seul, en plus. Le voir en pleine action pendant notre fuite m'a vraiment bluffé. J'avais toujours cru qu'il se vantait en me racontant ses exploits, mais en fait il était modeste, l'animal !

Donc, il va falloir que je le libère avant qu'il fasse n'importe quoi de son coté - on est très loin des sous-sols de l'UFIT ici, et niveau sécurité, c'est pas terrible. Mais pas ce soir. Ce soir, on est beaucoup trop loin des eaux internationales, et de mon but. Ce soir, tout ce que j'ai à faire, c'est d'inspirer confiance à mes compagnons, pour qu'ils répondent sans hésiter à mes questions plus tard et que j'obtienne tous les renseignements qui me serviront. Il faut aussi que j'examine les canots de sauvetage et que je vole des instruments de navigation... J'ai un jour, peut-être deux, pour convaincre quelqu'un de m'apprendre à m'en servir.

Pas la capitaine. Ni le second. Mais la navigatrice ne semble pas insensible à mon charme. Je n'aime pas flirter avec les gens pour obtenir quelque chose d'eux - j'ai l'impression de rentrer malgré moi dans le rôle qu'on m'a prédestiné, et souvent ça finit mal quand je refuse d'aller plus loin. Mais notre brève relation va, de toutes manières, finir mal, et puis je n'ai pas tellement le choix. Une fois en mer, il va falloir qu'on arrive moi et Cadell jusqu'aux Utopiales, et ça ne sera pas une partie de plaisir. Je ne sais pas si l'éducation d'élite de Brass comprenait aussi la navigation en haute mer à bord d'un canot ridicule, et dans le doute je compte bien assurer.

Le bateau est plutôt calme le lendemain, tous ceux qui ne sont pas à leur poste soignent leur gueule de bois dans les quartiers de l'équipage. Je ne devrais sans doute pas descendre maintenant. Mais si je ne préviens pas Cadell un minimum, il risque de ne pas me suivre le moment venu, n'est-ce pas ?

Tu parles. Ce gars a sauté d'un immeuble en me voyant sauter. Évidemment qu'il viendra.

C'est moi qui ait envie de le voir.

Depuis sa déclaration d'amour, je l'ai repoussé, il a foutu sa vie et sa carrière en l'air en découvrant un secret d'Etat, il m'a spontanément donné ce secret, et il m'a suivi aveuglément jusqu'à être arrêté par son ennemi de toujours. Là, j'ai peur qu'il ait atteint sa limite. Oh, pour fuir avec moi, il n'y aura sans doute pas de soucis, mais... On n'a pas pu se parler, se mettre d'accord sur la suite, on n'aura peut-être même pas une suite ensemble, et j'ai besoin qu'il me dise que je fais le bon choix, avant de rompre définitivement mon engagement envers le Soleil Noir. Je ne suis pas comme lui, je ne peux pas le suivre à corps perdu sans avoir au moins une promesse.

Cadell est gardé par un marin armé d'un pistolet. C'est assez évident que quand je leur ai parlé du plan, le Soleil Noir a monté une solution de fuite à la va-vite, et aucun agent réellement important et entrainé de l'Organisation n'est à bord. Tant mieux. Je lui propose amicalement de tester un truc, pour faire passer sa gueule de bois, et il me fait confiance. Après tout, je suis des leurs.

J'attends quelques minutes puis, une fois qu'il est bien perché, vole la clé dans sa poche. Après quoi je le laisse en tête à tête avec ses visions. Une petite prière adressée à n'importe quel dieu qui voudrait bien l'entendre, et j'ouvre la porte.