Silver 4 : ivresse

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Brass est bien sûr enchantée de nous aider à mettre la main sur un peu d'alcool — et elle nous propose d'autres moyens de nous amuser avec un naturel choquant. J'ai pourtant eu le temps de m'y faire, tous les Brass que j'ai connus étaient comme ça. Ils n'écoutent que leur instinct, et c'est ce qui les rend aussi imprévisibles que redoutables au combat. Ils sont généreux et empathiques, plein d'humour et extravertis, et c'est pour ça que le quotidien à leur coté est haut en couleur — et souvent illégal. Un Brass, c'est quelqu'un prêt à enfreindre une demi-douzaine de règlements pour organiser une fête sauvage au milieu de la nuit parce qu'il a vu quelqu'un qui a le cafard.

On pourrait croire que je déteste le chaos perpétuel qu'ils sèment sur leur route. Mais détester un Brass, c'est comme détester un chiot. Oui, ils font des bêtises, mais ils les font en toute bonne foi, et s'il m'arrive de m'énerver contre l'un d'entre eux, ma colère ne peut pas résister à un regard mortifié ; et je ne peux pas m'empêcher d'apprécier leur chaleur, la facilité de leur contact, même envers les gens aussi peu aimables que moi.

Au final, si j'ai appris à garder mes distances avec les Brass — et je ne suis pas le seul — c'est parce qu'ils sont éphémères, des feu follets qui ne font que traverser nos vies. Le Brass précédant a été renvoyé il y a un mois pour avoir pris des substances illicites - et surtout pour s'être fait prendre, tous les Brass prennent des substances illicites, pour nous les pilotes même le soda au vrai sucre est illicite. Mais il avait quand même trop abusé pour réussir à masquer ses traces. Celle-ci est en place depuis peu et pourtant elle semble bien partie pour glisser sur la même pente. Pourquoi sont-ils comme ça ? Ils semblent toujours exprimer une incroyable joie de vivre. S'ils ont un problème fondamental, pourquoi restent-ils sélectionnés sur ces critères ?

Gold 44 ne se pose pas toutes ces questions. Il est nouveau, Brass est nouvelle aussi et ils se connaissaient déjà à l'Académie. Avec Iron, en place depuis six mois, ils forment la dernière fournée de pilotes — je ne compte pas dedans Copper, qui va bientôt fêter ses dix-huit mois en tant que pilote et n'est plus un débutant depuis longtemps. Bref, la question de l'inviter à cette petite fête improvisée ne se pose pas : qui peut faire une fête improvisée sans Brass ? Avec eux vient Iron, qui fait de son mieux pour ne pas montrer que je l'intimide, Copper que j'aurais pourtant imaginé trop docile pour ce genre de choses, les inséparables Cobalt et Mercury, et Zinc le silencieux, que je soupçonne d'avoir l'habitude de l'alcool.

Chrome a dit qu'il nous couvrait, ce qui veut dire que d'une manière ou d'une autre les tests de demain ne révèleront pas qu'on a bu. Je ne sais pas si sa mansuétude impliquait autant de monde. Mais ça, c'est leur problème, moi je ne leur ai fait aucune promesse. Je suis déjà assez agacé d'avoir autant de gens autour de moi, pire encore, autant de gens qui parle de moi. Je ne leur ai pas dit que Chrome avait déposé une demande de changement de protocole, ils pensent juste que mon verdict concerne mes capacités de pilotage et ça leur suffit à bavarder.

Plus qu'une heure et demi avant de savoir. Je n'ai jamais fait ça, mais quand Gold me met un verre dans la main, je le vide d'une traite, comme si c'était une solution pour arrêter le passage du temps.


Les bavardages deviennent de moins en moins désagréables au fur et à mesure des verres. Ils finissent même par constituer un bourdonnement de fond rappelant les vibrations d'un cœur de mecha. Y a-t-il un endroit au monde où on soit mieux que dans un cockpit de mecha ? Sans doute pas, mais l'engourdissement qui m'enveloppe douillettement s'en rapproche un peu.

Gold a carrément passé son bras sur mes épaules pendant qu'il m'explique je ne sais pas quoi. Il rit à ses propres vannes. L'avantage des Gold, c'est qu'on n'a vraiment pas besoin de faire des efforts pour qu'ils pensent qu'on est attentif à tout ce qu'ils disent et font, c'est leur présupposé de base. Pour la première fois, je l'observe vraiment. Il est beau. Vraiment beau. Ce n'est pas juste du charme ou de l'expressivité. Ce n'est pas non plus un visage parfait de mannequin. Je ne sais même pas à qui le comparer pour l'expliquer, comme s'il avait créé ses propres critères. S'il est ne serait-ce qu'à moitié aussi coureur de jupons que Gold 43, ça va défiler. Je repense brièvement à ma sœur, Shigemi. Je sais que je n'ai rien à lui dire, mais je n'ai aucune envie qu'elle tourne autour de celui-là aussi. Et je ne vois aucun moyen de la retenir. Si je reste pilote.

L'éternelle batailleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant