Brass 7 : sous les projecteurs

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J'ai gardé toutes les pilules. Y compris la bleue, qui est un peu fondue. Je les ai cachées derrière la plinthe de ma chambre et parfois, je récupère le petit sachet, juste pour le regarder et me rappeler de tout ce qui s'est passé dans l'alcôve. Et sourire tout seul comme un crétin, aussi, probablement.

Je n'ai absolument aucune idée de comment je vais bien pouvoir réussir à séduire ce gars. Il est trop beau, trop sûr de lui, trop intelligent, trop manipulateur et surtout trop beau pour quelqu'un comme moi. En même temps, j'ai aussi cru que jamais je n'aurais le niveau pour entrer à l'Académie puis devenir pilote, comme quoi, poursuivre un rêve ça peut toujours se tenter. On n'est pas à l'abri d'un coup de pot.

Alors, premier point important : il faut que je le revois. Parce que j'ai un besoin vital de le revoir, déjà, et parce qu'il faut que j'arrive à lui faire une meilleure impression que ça ! Pour notre première rencontre, je ne savais pas du tout à quoi m'attendre et je me suis laissé guider du début à la fin... Il s'est bien amusé de mes réactions, je pense, mais ce n'est pas comme ça que je vais l'impressionner. Après tout, je suis un pilote, merde, ça en jette ! Même Copper a réussi à se trouver quelqu'un - il m'a montré la photo de son copain et très clairement, le prestige de l'uniforme a joué, c'est pas possible qu'un type aussi canon s'intéresse à Copper spontanément. Il faut que j'arrive à montrer à Nian à quel point je suis cool moi aussi.

J'aurai bien aimé le faire entrer en douce dans la Tour, qu'il voit le Brass, tout ça, mais ça risque d'être compliqué. J'ai un peu regardé les logiciels de surveillance, en utilisant les vieilles clés de hacking de Brass 67, 85 et 101, mais visiblement ils sont en train de changer tout le système et je n'ai pas osé aller plus loin. Personnellement j'ai de bonnes bases en piratage, et en tant que pilote je peux avoir des accès pratiques, mais il faut que je me montre très prudent.

En attendant de pouvoir me mettre en valeur dans une vraie rencontre, je peux heureusement compter sur le monde merveilleux du marketing : maintenant que j'ai du temps libre, je dois gagner ma croûte et le quartan de mon mecha en faisant mon plus beau sourire aux fans.

Les gens aiment le Brass, même si ses pilotes défilent trop vite pour réellement s'y attacher. Mon mecha a été rebaptisé le frelon, en raison de son énorme lance qui ressemble tellement à un dard, et de notre rôle qui consiste essentiellement à tourner autour du kaiju et à l'énerver pendant que les autres attaquent. Le poste le plus dangereux de tout l'escadron, donc, et aux yeux du public c'est l'unique raison pour laquelle nous sommes remplacés aussi vite. Quoique la presse à scandale ait mit le doigt sur quelques photos compromettante de certains Brass, ce qui a forcé à leur renvoi immédiat, l'UFIT a su cacher la plupart des problèmes que nous avons causés et a gardé notre image relativement propre. Bref, pour les fans je suis un petit héros courageux, et un peu inconscient, toujours en première ligne, et pilotant un des mechas les plus cools de l'escadron. Une carte que j'ai bien l'intention de jouer à fond pour attirer l'attention de Nian.


« Par ici, Brass... Regarde par là... oui, c'est ça... Maintenant souris comme si c'était le plus beau jour de ta vie ! Oui, excellent !

Il fait chaud comme en enfer sous les projecteurs et je ne vois absolument pas le gars qui me donne des instructions, je tourne la tête en me guidant à la voix. Ils ont mit un temps fou à régler la lumière en pestant contre ma peau qui brillait - apparemment me poudrer tout en gardant visibles mes taches de rousseur est un casse-tête pour les maquilleurs. J'ai fait quelques blagues pour détendre l'atmosphère, mais tout le monde est très très sérieux ici.

D'après Ramón, c'est à cause de la mission Lloyd, qui nous a monopolisé trop longtemps : tous les contrats publicitaires ont été mis en attente, et maintenant le service marketing doit faire des pieds et des mains pour rattraper le temps perdu. Donc j'ai arrêté de parler et je suis resté sans bouger, en imaginant ce que Nian allait penser en voyant ma tête affichée sur tous les murs de la ville au format 15x20 mètres.

Oui, je sais que ce sont les nouveaux, Platinum en tête, qui auront les super affiches à 15x20. Je ne sais même pas où on va me mettre, ni ce que je suis censé vendre d'ailleurs. Pas grave. Nian va me voir, et je sais très bien que mon meilleur atout c'est mon sourire, alors dès que le photographe lance son feu vert je montre tellement de dents qu'on pourrait me prendre pour un kaiju moi aussi.

Ce qui a l'air de lui plaire : sa voix est déjà nettement moins stressée quand il ajoute :

- C'est impeccable, t'as tout compris... Maintenant regarde par là... non, pas vers l'objectif, un tout petit peu plus à droite, vise mon épaule... excellent, t'es excellent... Fais-moi un clin d'œil, quelque chose de sexy...

Mais aucun problème monsieur, flirter avec l'appareil photo ça m'arrange ! Je lui sors mon plus beau regard de braise, ce qui finit par me fait marrer comme toujours - je n'arrive jamais à rester sérieux quand je fais ce genre d'expression, dès que je me demande à quoi ressemble ma tête ça me fait rire.

Par contre, Ramón, ça ne le fait pas rire du tout et il saute immédiatement sur le photographe pour l'engueuler à voix basse. Visiblement, "sexy" ne fait pas parti de ma marque... En même temps que je crois qu'il n'y a que dans la Tour que les Brass ont une réputation de trainées. Publiquement, on est mignons, purs et innocents. Bon. Comment est-ce que je peux m'y prendre pour allumer ouvertement un gars hyper sexy en ayant l'air pur et innocent, franchement ? Enfin, si, c'est faisable, mais pas avec le shooting de la Tour à mon avis...

Le photographe finit par déclarer sèchement que tout le monde va prendre 5 minutes de pause, et vient me parler. Il est grand, émacié et nerveux, avec une lueur un peu folle dans l'œil et un sourire trop grand. Et ce n'est pas trop difficile de voir, à certains rictus sur son visage et ses yeux rougis, qu'il a l'habitude de prendre le même genre d'excitants que Nian a tenté de me faire avaler - c'est hyper courant chez les marketeux et les artistes, en tant que photographe il ne pouvait pas y échapper. Enfin, il n'a pas l'air méchant, en tout cas pas envers moi, au contraire il me colle son bras sur l'épaule et s'exclame à deux millimètres de mon oreille :

- C'était excellent, petit, vraiment excellent ! T'as déjà fait des shootings ?

Je fais comme si je n'étais pas du tout envahi dans mon espace vital et lui répond :

- Non, mais j'ai jamais été gêné par un appareil photo. Ça va aller avec Ramón ?

- T'en fais pas, on a l'habitude de gérer les managers... Non, vraiment, t'as un truc. On sent que t'es motivé, que t'as envie de plaire. Et je suis sûr qu'on peut faire mieux que ça. T'as un physique unique, en plus. La dernière fois qu'on a eu un pilote qui sortait autant de l'ordinaire, c'était Chrome, et le public ne s'en est toujours pas lassé. Il fait sa diva mais les gens adorent ça.

- Ouais, enfin lui il est très beau, c'est...

- T'en fais pas pour ça. Avec les bonnes couleurs, le bon angle, la bonne lumière, tu vas être du tonnerre. Je vais te trouver des trucs à faire aussi. Il faut que tu sois en mouvement. Qu'on voit à quoi point tu es plein de vie !

Il m'attrape par le menton et me tourne la tête tout en me regardant d'une manière très bizarre. Avide, mais pas avide de me toucher, avide du film qu'il est en train de jouer dans sa tête. Inconsciemment je retiens mon souffle jusqu'à ce qu'il lâche :

- Oui... Tu es un diamant brut, et si j'arrive à te tailler à la perfection, ça pourrait lancer ma carrière très, très loin... Et toi, tu battras tous les records de popularité, je te le garantis. Si tu es prêt à faire tout ce que je dis, on va faire des merveilles, toi et moi.»

On ne peut pas dire que ce type me mette très très à l'aise, mais bah, après tout on veut tous les deux la même chose : faire des super photos. Alors j'accepte sans hésiter.

L'éternelle batailleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant