Silver 10 : le fantôme

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La colère me donne des ailes tandis que je fonce jusqu'à Gold, et je veille soigneusement à l'alimenter tout du long, comme le quartan pulsant dans le cœur d'un mecha. Tout ça, c'est sa faute. C'est lui qui m'a provoqué, lui qui m'a utilisé, lui qui m'a dépassé, et en plus il a le culot de vouloir sortir avec moi ? Et si je dis non, il fait un foin jusqu'à ce que même Chrome décide de me jeter en pâture à son bon vouloir ? Il faut croire que je n'ai pas été assez clair la dernière fois. Il est temps que je lui dise une bonne fois pour toutes d'aller se faire foutre ailleurs.

Justement, il sort tout juste de l'infirmerie quand j'arrive et je l'intercepte dans le couloir. En me voyant tout son visage s'éclaire et il me fait son sourire le plus lumineux, comme avant. Sauf qu'une énorme bosse, un peu au-dessus de l'œil droit, donne un aspect asymétrique bizarre à son visage, et en voyant ça je sens ma colère fondre comme neige au soleil. Enfoiré de Chrome, il peut bien se la péter en critiquant le manque de concentration des autres, n'empêche que personne ne lui a demandé d'envoyer des marrons pareils dans un simple entrainement ! Je fais à Gold un signe impérieux pour lui demander de se pencher et j'examine la blessure tout en lui demandant :

« Ça va ? Bordel, il t'a pas loupé !

Il rit et répond :

— Ne t'en fais pas, ça va. Ils ne m'ont même pas mis de pansement, ils disent que ça va dégonfler tout seul dans la journée.

— Ah. Bien.

Je ne dois pas me laisser distraire. Blessé ou pas, je dois fixer ce problème avec Gold, et le faire maintenant. J'ajoute :

— Puisque tu vas bien, s'il te plait, suis-moi. On a des choses à régler.

— Mais on a cours de langage informatique...

— On sèche. Ils s'en fichent. Viens.

Je l'entraine à ma suite. Le pire, c'est que les cadres se fichent vraiment de nous voir sécher les cours : ils ne nous les mettent à disposition que pour nous occuper et nous rassurer sur notre avenir, en nous formant pour avoir de quoi réclamer un poste à l'UFIT une fois que nous ne serons plus pilotes. Alors que, regardons les choses en face, plus de 90% des pilotes finissent morts ou renvoyés. Donc personne ne se soucie vraiment de savoir à quels cours nous allons, seuls les entrainements physiques sont obligatoires, l'essentiel étant que nos managers doivent savoir où nous sommes à tout moment. En allant nous réfugier dans la salle commune, déserte à cette heure-là, nous sommes tranquilles : ça reste dans les zones autorisées.


Gold a l'air plutôt content que je l'emmène ici. Il s'installe dans un immense fauteuil et attend que je le rejoigne. Pour ma part, je suis trop nerveux et je me mets à faire les cents pas devant, tout tentant d'expliquer à grands gestes :

— Tu vois, je voulais te parler, parce que, tu comprends, ce n'est pas, enfin, c'est Chrome qui, non, je veux dire, c'est moi qui...

— Tu t'inquiétais pour moi ?

C'est quoi ces grands yeux plein d'espoir ? Je rétorque :

— Pas vraiment, je sais que tu as la tête dure.

Au moins, ça le fait rire. Un peu. Il semble aussi un peu déçu.

Je sais ce qu'il veut. Il veut que je vienne à son chevet et que je joue les infirmières dévouées. Il veut que je lui tapote la main en m'inquiétant ouvertement pour lui. Il veut que je reste dans son dos pendant qu'il me protège des kaijus et qu'ensuite je me pende à son cou en lui disant à quel point il est fort et courageux. C'est ça qu'il avait en tête quand il a parlé de sortir ensemble, et même s'il y avait sans doute d'autres points dans le programme qui ne me déplairaient pas - parce qu'il faut quand même admettre que oui, j'ai envie de le baiser, et réciproquement, et de recommencer avant qu'il ait eu le temps de reprendre son souffle - je ne peux tout simplement pas accepter.

Les mots sortent tout seuls :

— Je veux que tu arrêtes d'attendre quelque chose de moi. Chrome me rend responsable et si tu te mets à faire ce genre d'erreurs sur le terrain, c'est moi qui aurait des ennuis. Alors contente-toi de tourner la page, d'accord ?

— Comment ça, il te rend responsable ? Chrome m'a toujours encouragé à...

— Encouragé à quoi ?

— A tenter ma chance ! Il m'a dit que tant que ça collait bien entre nous, il nous couvrait ! Et...

— Et bien je ne sais pas d'où il a sorti que ça collait bien, mais ce n'est pas le cas. Pas assez. Je ne sortirai pas avec toi, si vraiment il faut mettre les points sur i. Ça ne veut pas dire que je ne t'apprécie pas. J'ai vraiment... bien aimé le fait que tu sois aussi amical. Ça me... manque... un peu...

Je n'aurais jamais dû dire ça je n'aurais jamais dû dire ça je n'aurais jamais dû dire ça il va comprendre il va savoir que j'ai envie de lui depuis le début il va savoir qu'il a gagné il...

Il interrompt mon début de panique :

— S'il te plait, Silver... Est-ce que tu peux m'expliquer quelques trucs ? Ça m'aiderait à... tourner la page, justement...

— Heu... j'imagine, oui...

— Merci.

Il attend. Hésite. Puis avoue :

— C'est à propos de 43. Gold 43.

— Oui ?

— Est-ce que...

— Oui ?

J'essaye de ne pas montrer mon agacement, mais non seulement il n'arrive pas à se sortir les mots de la bouche, mais en plus la simple pensée de l'ancien Gold a le don de m'énerver prodigieusement. Et le fait qu'il m'énerve encore depuis la tombe m'énerve davantage.

Gold fini par prendre son courage à deux mains, m'attrape par les épaules pour que je le regarde bien en face et me demande :

— Est-ce que tu l'aimais ?

— PARDON ?

NON MAIS D'où EST-CE QUE ÇA SORT ENCORE CETTE MAGISTRALE CONNERIE ?

Et il est sérieux, en plus ! Concentré, triste, mais toujours avec cette fougue, comme s'il était prêt à défier son prédécesseur ici même et botter une bonne fois pour toutes son cul fantomatique. Je ne sais même pas si je dois rire ou hurler.

Dans le doute, je hurle :

— Non mais t'es pas bien ! Comment est-ce que tu peux imaginer une chose pareille !

— Bien sûr que je peux l'imaginer ! Tu en parles tout le temps, tu n'arrêtes pas de me comparer à lui... Si tu y penses autant, c'est bien pour une raison !

— Je n'en parles pas tout le temps ! Et quand je vous compare, c'est en ta faveur !

— Pas sur le vol, ni le combat, ni...

— Bon, il avait plus d'expérience que toi, évidemment... Je t'ai peut-être poussé un peu... Mais j'ai bien dû te dire à quel point c'est plus agréable de travailler avec toi !

— Mais... la manière dont tu le dis... C'est toujours comme si je n'étais pas un vrai Gold à tes yeux. Comme si il fallait absolument te bousculer pour que tu me vois enfin comme ton Gold... Et même quand j'ai cru que j'avais réussi, tu...

— Arrête. Je t'en prie. Arrête d'être aussi stupide. Je haïssais l'ancien Gold. Férocement. Il me gâchait la vie en permanence. C'est possible que je... enfin, disons que oui, tu n'as pas tort, j'ai très souvent l'impression que si on ne se dispute pas, on n'est pas vraiment un duo Silver et Gold. Mais si ça m'agace, ce n'est pas contre toi. Ça m'agace parce que j'ai l'impression de... d'être un tricheur, tu comprends ? D'avoir... D'avoir un meilleur Gold que celui auquel j'avais droit, de l'avoir volé à quelqu'un, en quelque sorte...

Plus ma confession avance dans le pathétique, plus je baisse la voix et les yeux. Bon sang, je n'aurais jamais pensé lui avouer tout. Mais l'imaginer jaloux du vieux Gold, c'est juste trop stupide, trop bizarre, je ne peux pas le laisser avec cette idée. Quand à l'image de moi amoureux de l'ancien... Yeurk. C'est tout simplement écœurant.

L'éternelle batailleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant