Felis 4 : demi-tour !

32 7 0
                                    

On ne va pas me cacher chez Tonton, mais chez un "contact" - qui que ce soit, il n'est qu'un prête-nom pour louer le minuscule studio où je vais rester quelques temps. Tonton avait prévu le coup et m'a constitué une valise avec tout ce qu'il faut. Pendant que je m'écroule sur la banquette-lit-siège du lieu, il s'active à nous préparer un thé, en râlant sur le propriétaire des lieux qui a visiblement mal garni la kitchenette. Ça me fait sourire. C'est un rituel important, entre nous, ce moment un peu à part où je peux tout lui dire.

Au début, quand je venais à peine de le rencontrer, jamais je n'aurais imaginé raconter quoi que ce soit de ma vie à ce type. J'étais encore pupille de l'UFIT, mais ils savaient déjà qu'ils ne pourraient pas tirer grand-chose de moi. J'avais seize ans, je haïssais le monde qui m'entourait, je haïssais les gens, je me haïssais. A l'orphelinat, tout le monde savait que nous étions une poignée à être ainsi, créés pour être vendus, des poupées de paradis. Avec nos visages parfaits, ça ne pouvait pas vraiment être caché. Certains et certaines en ont joué. A leurs risques et périls. C'est le piège de la beauté. De l'adoration à la destruction, il n'y a qu'un pas, comme si les gens beaux sont redevables à leurs admirateurs, et que ne pas leur rendre leur affection rendait légitimes toutes les violences. Les plus intelligents, les plus habiles, les graines prometteuses pour l'UFIT étaient protégés. Les autres étaient livrés à eux-mêmes, et ce n'était pas beau à voir.

Moi, j'avais choisi de me cacher. Derrière mon épaisse tignasse, comme si ça pouvait réellement mettre le monde à distance. Derrière ma grande gueule et ma colère, toujours prêts à déborder. Je n'ai pas le physique pour tenir tête aux brutes, mais il y a toujours moyen de faire mal quand on touche aux points sensibles de l'autre - avec une langue bien pendue ou un coup bien placé. Et toujours moyen de se faire des amis, quand on leur apporte de l'apaisement. J'ai fini par leur offrir de la drogue, à ceux qui me faisaient le plus peur, que je détestais le plus, et au moins ils ont foutu la paix à tout le monde - le temps de définitivement fuir l'orphelinat, mais ça, ce n'était pas mon problème.

Rien ni personne n'était mon problème. Je ne voulais pas me vendre, je ne voulais pas d'un métier formaté par l'UFIT, je voulais juste qu'on me laisse tranquille. C'est pour ça que le métier de dealer m'a attiré. Tu es indépendant, tu gagnes pas mal et tu vends de la paix. C'était très bien. Et j'étais assez intelligent pour intéresser le Pharmacien, un chimiste plutôt reconnu dans le milieu, qui m'a formé.

Si j'ai rencontré Tonton, ce n'est pas comme tant d'autres poussins qu'il a pris sous son aile dès qu'ils sont entrés dans son bar, à moitié bravaches et à moitié terrifiés. Non, on s'est rencontré au milieu des cris et de la panique, pendant que le Pharmacien faisait office de toubib officieux pour recoudre d'urgence un gars bien amoché, alors que Tonton et quelques amis à lui tenaient à distance les agresseurs et les chassaient du bar. Un bar gay. Aucune loi n'interdit d'être gay, dans aucun pays, l'UFIT y a veillé. Mais personne ne nous protège de ceux qui voudraient s'en prendre à nous. Nous ne pouvons compter que les uns sur les autres, et à ce jeu-là, Tonton est un grand champion de la cause.

J'ai aidé à éponger le sang, j'ai dosé les calmants, je n'ai pas dit grand chose et j'ai beaucoup regardé. Ce grand type puissant, qui utilisait toute sa force pour protéger et pas pour détruire, et qui ensuite était capable de se montrer si délicat, si attentionné envers ses amis, je l'ai trouvé impressionnant. Exactement mon contraire. J'ai toujours aimé les gens qui étaient exactement mon contraire.

Je suis retourné le voir comme un simple client. J'avais de la poudre de paradis plein les poches, de quoi m'acheter tous les alcools du comptoir, mais on a bu du thé. On a parlé. D'abord un tout petit peu, le temps de se jauger, de voir à qui on avait affaire. Enfin, moi j'avais besoin de prendre mon temps, d'évaluer la situation. Lui, il savait que j'avais besoin de me fier à quelqu'un. Ça a pris du temps, mais ce quelqu'un, ça a été lui, et depuis, c'est toujours lui.

L'éternelle batailleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant