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Je ne peux pas croire ce qui vient d'atteindre mes oreilles, je ne peux pas croire qu'il allait oser parler d'elle maintenant, je ne peux pas croire ce qu'il veut nous faire ?! Qu'il veut nous trahir pour toujours ! 

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Je suis paralysée par mes émotions, tant, que mon verre me glisse entre les doigts, et qu'il se fracasse sur le tapis beige, une trace rouge pourpre s'étalant lentement sur la matière. Mon père se lève, et un instant, je crois qu'il aimerait ravaler ses mots. Mais il me regarde de ces deux yeux de traître égoïste, et Jenny la cruche se terre dans son silence et au fond de son canapé neuf de merde.

Il s'approche et je suis tellement tétanisée, que je crois m'étouffer de ne pas respirer pendant quelques minutes. Il tend la main vers mon épaule, mais mon cerveau se reconnecte comme par miracle pour me sauver.

-Ne me touche pas ! Espèce de sale traître ! Tu comprends ça, que tu es un traître ?! Je te déteste ! Je te hais plus que personne ! Tu t'attendais à quoi ?! Meilleurs vœux mon papounet ?! Tu oses me dire ça, tu oses me parler d'elle alors que tu m'annonces ça ?! Tu n'as même pas été capable de sauver une femme, alors crois-tu que tu vas pouvoir en garder une deuxième ?! Pire que ça, tu en as tué une, alors tu crois que tu vas pouvoir maintenir en vie la seconde ?! Ce n'est pas une putain de bague qui va changer quoi que ce soit !

Je ne vois pas venir l'énorme main rêche qui s'abat sur ma tempe. Abasourdie pendant quelques secondes, je suis si horrifiée, non pas d'avoir dit tout ça, mais parce qu'il m'a frappée. Mon père m'a frappée comme une vulgaire inconnue. Mon oreille se met à bourdonner et des dizaines de lumières rouges semblent s'affoler dans mon esprit. Ma joue douloureuse m'importe peu, l'adrénaline l'apaise un peu. Jenny se lève instantanément en hurlant sur mon père, tandis que moi, je ne peux plus prononcer un traître mot.

La face empourprée de colère de mon géniteur, car je le l'appellerai plus que comme ça, devient toute pâle.

-Tu n'as pas honte ?! Frapper ta fille ?! En voilà un bon début de relation apaisée ! S'écrie Jenny.

Je suis à deux doigts de lui dire de la fermer et de se mêler de ses affaires. Mais ma colère se centre sur une unique personne pour l'instant, et la rage me fait perdre pied.

C'est un autre monde, une autre vision qui s'offre à moi. Une haine incommensurable qui floute les contours de chaque être, chaque objet, chaque meuble devant moi. Une haine qui me tort les boyaux et qui fais vibrer chaque muscle de mon corps. Une haine qui me brise le cœur en milliers de morceaux.

Je ne pense pas avoir plus haï mon père qu'aujourd'hui. Plus encore qu'il y a cinq foutues années. Plus encore que lorsqu'il m'a forcée à vivre aux Etats-Unis après sa mort. Plus encore que le jour où il a voulu me présenter sa copine rencontrée sur internet putain. Plus encore que quand il s'est mis en ménage avec cette femme qu'il veut maintenant épouser et que je ne lui avais pas adressé un seul mot pendant quatre mois. Plus encore que toute ma rancœur et mon amertume ruminés pendant cinq ans n'a pu me le permettre. Plus encore que le fait qu'il n'ai jamais été là pour moi, que quand il était défoncé ou soûl, ou après avoir trouvé une nouvelle vie à mener. Une vie qu'il mène sans moi. Parce que je sais que si je suis là en train d'écouter ces conneries, c'est uniquement dû à Jenny, qui veut qu'il garde un lien avec sa fille, et qui rêverait même d'une relation calme et affectueuse entre nous trois. Mais comme je viens de le dire, ce n'est qu'un rêve. Elle aussi aurait sûrement souhaité que j'accepte tête baissée leur alliance, mais elle n'a pas encore saisi que ce jour n'existe et n'existera que dans ses rêves les plus fous.

Mon père semble soudain si petit devant moi. Si innocent, si affligé qu'il soit, il n'en reste pas moins un sale con. L'enfer m'importe peu à présent.

CharlieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant