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On arrache quelques moments heureux parce qu'on sait qu'ils ne durent jamais. 

Rien ne dure jamais...

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Il me regarde et je le regarde, nous sommes l'un face à l'autre et tout ce dont je rêve se brise sous mes yeux, sans même que nous ne disions mots. Je sais ce qu'il est en train de faire, et je ne le comprends peut-être pas comme il le voudrait, mais c'est tout ce que je craignais. Et pourtant nous en étions là.

Je refuse de me laisser planter ici, alors que je suis sur son terrain et que je me sens comme une intru dans son espace. Il faut que je parte, il faut que je fuie cet endroit qui lui appartient et qui me hurle de déguerpir au plus vite. S'il n'a pas le courage de me dire ce qu'il tait alors je parlerai à sa place, j'agirai pour nous deux, et j'essaierai au mieux de préserver le peu de dignité qu'il me reste.

Je fais un pas en arrière, dans le besoin de prendre du recul, de mettre de la distance entre son corps qui m'attire toujours avec autant de magnétisme. Je ne sais d'où je vais puiser ce courage qu'il se refuse, mais il faut que je prenne les choses en main alors que mes joues me brûlent encore des gouttes salées qui y affluent.

-Si tu ne veux pas le dire, alors je dois le faire pour toi. On en reste là et tout est terminé c'est ça ?

Ma voix en tremble, mais je reste droite. Je ne sais pas s'il y a de bonne ou de mauvaise manière de rompre, mais celle-là au moins a le mérite de nous confronter tous les deux à nous-mêmes. Il essuie ses joues brusquement, comme honteux, et il est si tendu que je peux percevoir une veine saillir au niveau de son cou.

-Je ne sais pas...Charlie...je ne veux pas te quitter, pas maintenant pas comme ça...

Je suis perdue, complètement. S'il ne veut pas rompre alors qu'est-ce qu'il veut ? Que cherche-t-il à part me faire souffrir ? Je me retiens de briser un autre bibelot parce que ce n'est pas la façon dont nous résoudrons nos problèmes, mais il provoque une telle rage en moi à cet instant qu'il reste difficile de me contenir.

Il est tiraillé, et ses yeux me parlent mais je n'ai plus envie de les lire. Je ne veux pas essayer de décrypter ses pensées, elles seraient encore plus blessantes que ses mots je le sais.

Il essaie de faire un pas vers moi, mais je recule. Je ne veux pas lui donner satisfaction, je ne veux pas rester une affaire en suspens, je ne crois pas en les pauses de couple, et s'il ne veut pas me quitter, pour me laisser pendante à l'attendre jusqu'à ce qu'il se décide, c'est qu'il n'a pas bien compris qui j'étais, ni comment je fonctionnais.

-Je ne sais pas ce que tu veux alors ! Je ne sais plus ! Je pars. Et tu n'auras pas de culpabilité à avoir, si je m'en vais seule.

Il ne dit rien, il reste muet comme une tombe, et ça me dégoûte sincèrement. Je ressens l'amertume dans ma bouche, le dédain sur mon visage, la douleur dans ma poitrine. Alors je récupère mes affaires, et sans un mot non plus de ma part, je prends la porte. Il me suit jusque sur le palier, mais je préfère encore claquer la porte derrière moi et qu'il n'ajoute rien. Ce serait trop dur pour lui comme pour moi.

L'ascenseur semble mettre des heures à arriver, et je me retrouve seule dans cette petite cabine, pour seule compagnie mes reniflements bruyants.

Je ne sais où je trouve la force de me ruer sur ma voiture, j'en perds mes clés au sol. Mais une fois à l'intérieur de mon refuge, j'ai le besoin pressant de me tirer le plus vite possible, même si je ne vois quasiment rien à travers le voile mi-opaque qui me gâche la vue.

J'arrive en vie, à regret pendant une seconde peut-être, à la sororité. Mais une fois garée, je me demande si c'est vraiment le bon endroit où me réfugier. Il y a toutes ces filles qui sont là, toute cette animation, tous ces regards qui vont me fixer et comprendre que j'ai pleurer à en crever, et je n'ai pas envie de tout ça. Je ne sais pas où aller et ça me rends encore plus triste de n'avoir véritablement personne à qui me confier, à qui montrer ma vulnérabilité, envers qui je n'aurais aucune honte ou gêne à m'effondrer sur son épaule.

Je suis seule dans un monde que je n'avais pas choisi, mais aujourd'hui je ne peux plus me cacher derrière cette excuse. Parce que je sais que si je suis seule, c'est uniquement ma faute.

J'ai fait le choix de rester impassible aux yeux de tous, j'ai fait le choix de paraître plus impénétrable qu'un roc, je me suis cachée même à ceux qui me tendent la main tous les jours. J'ai préféré me réfugier derrière une carapace élaborée pour que personne ne puisse comprendre qui je suis, et aujourd'hui il est évident que tout est ma propre faute. Que je suis la seule coupable à blâmer. Plus personne ne peut prendre la responsabilité de mes choix, et je dois y faire face en plus de tout le reste. C'est un coup dur, c'est certain. Changer n'est pas chose aisée, mais je devine qu'il faut bien s'y résoudre un jour pour avancer et ne plus jamais ressentir cette solide solitude qui se présente à moi aujourd'hui. Pour ne plus jamais me sentir aussi minablement pathétique.

Je ne suis pas certaine du temps exact que j'ai passé à l'intérieur de ma voiture à attendre d'être suffisamment calmée, mon visage porte les traces d'un récent carnage mais je me débrouille pour les effacer du mieux possible. Je n'ai peut-être plus l'air d'une dingue mais rien ne me prévient que je ne le suis pas devenue au fond.

Je rentre enfin dans la maison, et il y règne un calme plat inhabituel, mais je m'en satisfais pour autant. Je rejoins ma chambre sans encombre, et sans croiser personne non plus. Rilee doit être avec Peter, et Amanda avec Alec à coup sûr. Qu'est-ce que je croyais ? Que tout le monde viendrait me voir en courant alors que je les rejette en permanence ? Ils font tous leur vie, ils avancent tous sûrement dans leur avenir. Mais quel avenir m'est destiné maintenant ? Je n'ai le goût de rien, je n'ai envie de rien ! La seule chose qui devenait importante à mes yeux, le seul futur que j'envisageais, c'était avec lui. Il était ma bouée de sauvetage. Et à présent, qu'est-ce qu'il me reste ? De la fumée. Des larmes. Des miettes.

Tout a disparu, tout s'est envolé, rien ne peut se rattraper, et le temps est aussi cruel que l'amour. Quand on le prend il s'envole, quand on le perd il disparaît.

Le regret, l'amertume, la détestation de soi, sont mes bourreaux. Mais ceux-là, j'ai appris à les côtoyer au fil des années. La peur, en revanche, est nouvelle et bien plus terrifiante. Perdre quelqu'un qui est encore là, c'est pire que ce que j'imaginais. C'est comme si on m'avait crever les yeux, pour enfin voir l'illusion permanente que construit l'amour. Ces repères, cette stabilité relative, toutes les projections d'avenir, prennent fin, et c'est comme si la vie s'arrêtait. Plus aucun but ne nous retient, plus aucun objectif ne semble suffisant pour courir après. Des chimères, que des chimères. Le monde, l'équilibre, les rêves, tout s'effondre en ruines.

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Salut à tous !

Ravie de vous publier ce chapitre, brisant mon petit cœur, même en sachant ce qui se produit... J'ai relu ce chapitre et j'étais désespérée d'être si cruelle envers notre couple préf ! Même moi, je trouve ça horriblement triste ! J'espère qu'il vous a plu, et que vous avez ressenti toutes ces émotions et tout le désespoir de mes deux personnages, ne m'en voulez pas trop, ils sont si têtus ces deux-là !

Bisous, bisous !

-M-

CharlieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant