Charlie

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Un jour il faudra bien que je lui dise à quel point je l'aime, en toute honnêteté. 

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Le jour fatidique approche. Il arrive à grand pas, comme une inévitable onde de choc. Et la seule chose que je puisse faire, c'est bien de prendre mon mal en patience, et attendre que tout soit fini, que tout soit derrière moi. Mais pour l'heure, alors que j'ajuste la robe que Jenny a choisi pour moi, je ne peux m'empêcher d'avoir le cœur au bord des lèvres face au miroir. C'est une longue robe émeraude, la couleur éclatante s'accordant parfaitement avec ma crinière brune, et la texture en soie rend le toucher agréablement doux. Elle me sculpte ma taille juste comme il faut, et le décolleté assez échancré laisse désirer ma poitrine. Je sais qu'elle est parfaite. Je le sais au fond de moi. Elle me sied à merveille. Mais je la déteste. Si on me l'avait offerte pour une tout autre occasion, je l'aurais adoré c'est certain. Seulement je ne peux pas supporter le fait de me sentir jolie pour cette occasion-ci. Je préférerais être laide, disgracieuse, abominable, et me sentir comme un cheveu sur la soupe lors des photos de mariage. Les photos de mariage...encore un calvaire qu'il va falloir surmonter. Et tant de minutes de torture que toute cette journée...

Je ne sais pas comment je vais y arriver. Enzo. Il sera là lui, pour m'aider à rester digne, pour m'épauler. Pour désamorcer la bombe Charlie, qui pourrait sauter à tout instant à la cérémonie, à la soirée de noces, à la séance photo. J'espère qu'il sera prêt, parce que je ne compte que sur lui. Moi-même, je ne saurai m'équilibrer seule, je le sais.

Jenny m'appelle timidement derrière le rideau, et j'ouvre les dents serrés le fin tissu qui nous sépare.

Sa réaction me prouve que j'ai toutes les raisons du monde de détester cette tenue.

- Tu es...sublime ! S'extasie-t-elle en écarquillant les yeux.

Je ne me trouve pas sublime, c'est la robe qui l'est. Je me sens comme de l'eau dans un désert. Pas à ma place.

Mais je respire un bon coup avant d'essayer de lui offrir un sourire aimable. Elle veut juste que ce soit le plus beau jour de sa vie. Elle n'a jamais demandé à avoir sur les bras toutes ces années une ado perturbée, qui n'arrive pas à se remettre de la mort de sa mère, et qui lui pourrit la vie depuis qu'elle a rencontré son père. C'est malheureux pour elle, je ne la détesterais pas autant si je l'avais connue dans une autre vie. Ou peut-être que si. Son air affable, ses cheveux blonds et soyeux coupés en un carré long parfaitement égalisés, ses yeux bleus translucides trop parfaits pour êtres humains, et son sourire qui semble ne jamais la quitter qui m'horripile à chaque fois que je la vois...

Je le fais pour ma mère, tout ça c'est uniquement pour elle. Parce que je sais qu'elle aurait honte de me voir me comporter ainsi, elle doit avoir honte. Mais encore plus si je gâche le remariage de mon père, qu'elle aimait tellement. Si elle était là, peut-être que ma vie aurait été totalement différente, peut-être que mon père ne se serait jamais remarié, peut-être que j'aurai été une adorable ado dont les seuls problèmes auraient été de savoir quel robe porter au bal de lycée, quel fac choisir ensuite, Paris ou Marseille ? Je me suis imaginé de nombreuses fois des vies utopiques dans ma tête, et aucune ne terminait ici. Aucune ne ressemblait à celle que je vis aujourd'hui.

Sauf que depuis quelques temps, j'y intègre Enzo. C'est la seule chose qui a changé en six années. La seule histoire que j'ajoute à ma vie rêvée. J'espère que je ne fais pas une erreur, que je fais le bon choix, et qu'il n'aura que de bonnes conséquences. Mais ma vie n'est ni utopique, ni idyllique, alors mes choux ne sont presque jamais les bons. Et si cela impliquait que je fasse fausse route, alors...soit. Pour l'instant, je vivrai avec ce peut-être, ce doute planant au-dessus de mon crâne. Il faut vivre dangereusement dit-on, et je ne fais que ça.