Chapitre 87

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Alya

Un mémoire sur la peur. Je pourrais écrire un mémoire sur la peur. Sans aucune difficulté. La gêne presque douloureuse d'avoir la gorge nouée sans interruption, les questions sans réponses qui ne sont pas forcément toutes logiques, une valse incessante des pires scénarios possibles et l'envie irrépressible de passer le restant de mes jours enroulée sous ma couette. La peur.

Mais je crois que ce ne sont pas les pires des symptômes.

Le pire des symptômes c'est de ne plus être certaine de ce que sera demain. À la manière d'une proie prise entre les griffes de son chasseur et qui ne sait pas si elle vivra assez longtemps pour voir un jour de plus. Entre Ken et moi, tout m'apparaissait comme tracé. Les doutes s'étaient effacés depuis longtemps, il ne restait plus qu'un sentiment de stabilité et au-dessus de tout ça, je croyais en l'avenir. Je croyais en nous.

Aujourd'hui, la seule chose qui me gouverne, c'est la peur. J'ai peur. Peur qu'il ne revienne pas, peur de ne pas lui avoir suffi, peur d'avoir dit le mauvais mot, la mauvaise phrase au mauvais moment, peur qu'il lui soit arrivé quelque chose.

Mais surtout peur que le trou qui s'élargit dans ma poitrine ne se rebouche jamais. Plus les traits de son visage me reviennent en tête, plus la douleur s'accentue. Plus je vois Thanos triste, plus mon coeur se serre. Chaque jour je me lève sans grande conviction pour faire la même chose que la veille. Chaque jour je vérifie si ses Nikes ne sont pas sur le pas de la porte et je ne sais même plus si je le fais avec espoir ou juste par habitude.

Tous les jours, la seule chose que mes yeux rencontrent, c'est la surface du tapis. Pas de Nikes, pas de Ken.

Assise devant les toilettes, l'estomac en aussi bon état que la veille, je ressors l'intégralité de mon repas d'hier soir. C'est la même chose depuis le retour de chez Laurène. Et les images qui tournent dans ma tête n'améliorent pas les choses. Il pourrait être partout. Chez Hakim à cinq minutes à pied, chez ses parents, au studio, chez Alpha à l'autre bout du quartier. Il pourrait faire n'importe quoi, être avec n'importe qui.

Aussi fatiguée que quand je me suis endormie, je tends la main vers le rebord du lavabo pour attraper ma boîte d'anxiolytiques. Si Ken me voyait faire, il me tuerait. Sauf que j'ai pas le choix, hors de question de faire des crises alors que je suis seule avec Thanos. S'il arrive quelque chose, je me le pardonnerais pas. Je peux bien supporter quelques effets secondaires si ça m'évite de finir en boule au milieu du salon.

Une fois le comprimé avalé, mes dents brossées et mon peignoir sur les épaules, je me traîne jusqu'au salon. Pour rajouter à ma fatigue, je dors presque pas. Le soleil vient à peine de se lever que je suis déjà debout. La pièce est encore plongée dans l'obscurité quand je me pose sur le rebord du canapé.

Aujourd'hui encore, on prendra le petit-déjeuner que tous les deux, Thanos et moi. Sans que je puisse m'en empêcher, mon regard dévie sur le pas de la porte et mon coeur s'arrête l'espace d'une seconde.

Elles sont là.

Elles sont là, posées sur le tapis, les lacets soigneusement rangés à l'intérieur. Elles sont là.

Il est là. Le coeur au bord des lèvres, je me relève un peu trop précipitamment et fait le tour du rez-de-chaussée, le souffle court. Vide. Les yeux déjà humides, je remonte les escaliers en sautant la moitié des marches.

Il est en haut. Pièce par pièce, je sonde l'obscurité à la recherche de sa silhouette jusqu'à arriver à la chambre de Thanos. Doucement, je pousse la porte mais la seule chose sur laquelle je tombe, c'est la petite boule formée par Tan sous sa couette.

T'y crois, toi ? · NekfeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant