3 - M. Sybell ou la bonté en retard

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     Le jour suivant, Électra quitta le logis en passant par la boutique se situant au rez-de-chaussée. L'échoppe était dans un piteux état ; autrefois, une foule de clients se massait au milieu des étalages où s'empilaient les sacs d'orge d'argent, les fioles d'huiles aromatiques et les encens venus des Archipels. Il y flottait toujours des senteurs étranges et étrangères qui venaient caresser les narines et enivrer l'odorat. Il ne restait presque plus rien de cela, dorénavant ; les étalages vides étaient recouverts d'une épaisse couche de poussière semblable à un duvet gris, les meubles tenaient à peine debouts et il n'y avait bien entendu aucun client. Électra sortit rapidement et ne pensa même pas à fermer à clef derrière elle.

Après quelques minutes de marche, elle atteint la Place Centrale, cette fourmilière qui faisait office de coeur battant au village. Cette place circulaire était entourée de bâtiments beaucoup plus récents que celui dans lequel habitait la jeune femme. Ils étaient en pierre taillée, grands, avec des fenêtres et l'étendard royal de Cyrianie flottant sur leurs toits d'ardoise. Au milieu, sur les côtés, partout, le monde marchand marchandait et les acheteurs achetaient à défaut de pouvoir négocier avec leurs féroces fournisseurs. Le cliquetis des pièces de fer, de bronze et d'argent avait de quoi vous rendre fou. On vendait de tout ici : des légumes, des armes, des chevaux, des tissus...
Il y avait aussi ces vagabonds se cachant derrière des capes sombres qui se targuaient, en échange d'une poignée de pièces d'or, de vendre un livre de sortilèges ou une dague incrustée d'une amulette magique.

Bien sûr, aucun de ces effets n'étaient véritablement dotés d'un quelconque pouvoir, mais en Cyrianie, là où la magie et la sorcellerie n'existent pas, il n'était pas rare de voir des locaux en quête de l'extraordinaire dépenser sans compter pour pouvoir, ne serait-ce qu'une seule fois, se sentir supérieur par rapport au reste de la population. Ils voulaient expérimenter ce que ces gens d'Hydralia ou d'Osphariel font depuis des millénaires : manipuler le matériel et l'immatériel sous toutes ses formes, conférant ainsi un pouvoir inimaginable puisqu'aucune épée ne peut le vaincre. Et cela ne s'apprend pas dans un livre, contrairement à ce que voulaient faire croire ces vagabonds.

    Électra traversa la Place Centrale en jetant des coups d'oeil un peu partout. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'était pas venue ici.
Elle finit par atteindre une grosse porte cloutée peinte de rayures rouges, à l'intersection de deux rues du district marchand. Elle toqua, attendit quelques instants, toqua une seconde fois. La porte s'ouvra enfin et un homme d'une soixantaine d'années apparut, habillé d'étoffes couleur vin.

- Électra ?

L'homme parut surpris de voir la jeune femme.

- Monsieur Sybell. Puis-je vous parler ?

Son ton était déterminé. Ledit M. Sybell se gratta la barbe, réfléchit puis accepta :

- Je t'en prie, entre. Tu sais bien qu'une Saul est toujours la bienvenue dans ma demeure !

- Merci infiniment. Ça ne sera pas très long.

♤♤♤

La maison des Sybell était une espèce de bric-à-brac tapissée d'objets en tout genre valant au moins 3 fois l'échoppe des Saul. On y trouvait des portraits représentant les membres de la maisonnée, des miroirs aux reflets scintillants, des plantes exotiques, une peau d'ours..Tout était exactement comme l'avait décris Mikhaïl.
M. Sybell était un ami de la mère d'Électra et il n'était pas rare qu'elle se rendît ici, accompagnée de sa famille, pour prendre le thé avec lui. Le nom de Sybell revenait plusieurs fois dans les souvenirs les plus anciens de la jeune femme. Il avait dû être très proche de mère..., pensa t-elle. Et il n'a pas l'air mauvais, d'ailleurs, pour un serviteur du roi. En montant l'escalier, Électra détailla M. Sybell. Il n'était pas très grand et un peu courbé, mais peut-être était-ce le poids de ces étoffes qui le faisait se pencher en avant. Son visage était rond et rose et une barbe grise le recouvrait par moitié. Elle remarqua l'insigne du phoenix de Cyrianie, donnée par le roi en personne à ses meilleurs conseillers.

Le Cygne NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant