38 - Au banquet des princes

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Électra n'avait jamais vu de cachots de sa vie entière. Comme pour ceux du château du roi Elis de Cyrianie, ils étaient formellement interdits au public mis à part pour les visites.
Ici, dans le sous-sol humide et puant de la citadelle, vivaient les prisonniers de la Couronne, ceux dont les crimes ont été directement commis envers celle-ci. Ils avaient tué, violé, saccagé, maudit... Dans ces cellules de pierre et de fer étaient enfermés à l'abri du jour les ennemis du royaume en l'attente de leur exécution ou d'une mort lente et naturelle -presque pire.

En progressant dans ces souterrains mal éclairés, la jeune femme vit courir des rats gros comme des chats entre ses jambes et l'odeur nauséabonde de moisissures et d'excréments manqua plusieurs fois de la faire vomir.
Ses blessures cicatrisaient bien mais Électra se sentait continuellement malade et fébrile depuis le soir de la traque. Elle avait beaucoup de mal à dormir, surtout. Heureusement, elle arrivait à remarcher sans s'effondrer sous le coup de douleurs foudroyantes et avait les idées claires la plupart du temps. Mais c'est dans ce doute constant qu'elle ne put croire ses oreilles quand Neptune lui annonça, il y a quelques jours, que Telmaz avait essayé de la tuer, elle et un garde, et qu'il avait donc été emprisonné dans les cachots sur ordre de la reine elle-même.

En arrivant devant ce qui ressemblait plus à une cage à animaux qu'à une cellule pour humains, les deux soldats qui l'accompagnaient s'éclipsèrent ; c'était là un privilège accordé aux courtisans qui possédaient le droit de visite des détenus sans oreilles curieuses pour les surveiller.
Électra s'approcha lentement des barreaux abîmés, la respiration rapide. Elle craignait ce sur quoi ses yeux allaient bientôt se poser.

L'homme qu'elle vit dans cette cellule semblait mort au premier abord. Il ne bougeait pas et une puanteur extrême, celle de chair brûlée, émanait de son corps. Le prisonnier était assis au fond de ses nouveaux appartements, les bras enchaînés au mur et les habits souillés et déchirés. En face de lui traînait une écuelle remplie d'une bouillie jaunâtre que dégustait un rat avec appétit.
Lorsque Électra approcha la torche, elle aperçut son visage. Ce dernier se trouvait carbonisé sur toute la moitié gauche, allant du cou jusqu'au crâne. Malgré les bandages, on pouvait voir des lambeaux de peau et de chevelure dépasser.
Raphaël était méconnaissable, ainsi. Électra ne l'aurait certainement pas reconnu s'il n'avait pas ouvert les yeux à ce moment-là, dévoilant des iris bleu ciel, si belles qu'elles ressemblaient à deux lacs scintillants au milieu d'une étendue désolée.

Raphaël prit lui aussi du temps à reconnaître la jeune femme. Cela faisait longtemps qu'il ne s'était pas éveillé, s'arrachant à une torpeur où la souffrance qu'il endurait le maintenait constamment dans une sorte d'état second. Quand il la vit, elle, derrière ces barreaux, il ne réagit pas. Cela n'en valait pas la peine.

- Raphaël..., souffla Électra.

L'horreur la frappa quand elle aperçut que le jeune homme n'avait plus de main gauche. À la place se trouvait un moignon d'où se déversait un mélange de pus et de sang.

- Je me suis trompé de main..., croassa Raphaël en souriant pathétiquement. Cet homme...je lui ai coupé la droite. Pas la gauche. Vous aviez raison, Électra...je ne suis qu'un pauvre idiot.

Parler lui demandait des efforts incommensurables qui furent récompensés lorsqu'il constata l'effroi qui teintait le visage livide de la jeune femme.

- Je l'ai tranché grâce à l'un de ces barreaux..., expliqua Raphaël d'un ton détaché. Ça m'a pris des heures et des heures avant que l'os ne se brise enfin...je me retenais de crier, mais c'était impossible. Quand les gardes sont venus me donner à manger, ils m'ont retrouvé évanoui. C'est pour empêcher que je ne refasse pareil qu'ils m'ont attaché comme un chien avec ces chaînes, mais je n'allais rien faire de plus...ce n'était que justice pour cet homme qui surveillait l'entrée des souterrains.

Le Cygne NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant