Le Cygne Noir

3 - Le cauchemar

《 J'aurais aimé recevoir plus tôt une réponse de ta part, mais je suppose que tes occupations ne te le permettent pas pour le moment.

Père est revenu hier. Il se porte bien et il semble même plus en forme qu'avant le début de la guerre. C'est étrange, n'est-ce pas ? Il m'a dit que beaucoup de villes ont été détruites au Sud mais aussi dans des royaumes de l'Est en remontant jusqu'à notre frontière. Père espère également avoir de tes nouvelles dans les jours à venir. Je pense que tu devrais au moins lui écrire une lettre pour lui dire que tu vas bien, toi aussi.

Je sais que je n'ai jamais été très attentive à ce sujet, mais notre famille a été séparée depuis plusieurs dizaines de mois déjà et j'espérais que nous pourrions tous nous retrouver. Peut-être pas tout de suite, mais bientôt, si cela est possible. Je vais certainement me fiancer à notre cher cousin Emerius. Ce jour-là, sois présent, je t'en prie. Je ne veux pas que tu sois retenu dans cet endroit infâme à cause de cette femme. Tu mérites bien plus, tu le sais. Chevalier ou pas, tu demeures un d'Halvar et je ne te laisserai pas seul.
Reviens au plus vite.

Baisers,

Melrina 》

Avec un pincement au coeur, Akira jeta la lettre dans le feu juste après l'avoir lue. C'était une nécessité pour ne pas éveiller de soupçons sur sa véritable identité.
En regardant le papier lentement se consumer, il poussa un soupir qui en dit long sur ses doutes. C'est sûr que tout serait plus facile si je retournais là-bas, pensa t-il. Mais pour quoi faire ? Père est revenu, nous n'avons plus de soucis à nous faire, Rina. Je suis très bien ici. Akira connaissait l'animosité de sa soeur envers la Marquise qu'elle accusait de l'avoir arraché au clan familial pour le transformer en une espèce de domestique courant après les démons.

Il avait beau lui expliquer cent fois que ce n'était pas le cas, Rina ne semblait pas essayer de le comprendre. Pourtant, dans ce château, il avait trouvé sa place : il pouvait s'amuser avec les autres chasseurs, galoper comme il le souhaitait, rencontrer les villageois, améliorer ses capacités martiales...En résumé, Akira se sentait bien plus libre ici qu'il ne l'avait jamais été à Desmarid ou à Quatre-Rivières.

Lorsque le feu fut éteint, Akira réussit à quitter le dortoir des chasseurs sans un bruit et fila jusque dans le hall principal du château. De là, il emprunta le corridor est menant jusqu'à l'aile réservée aux domestiques puis s'arrêta net, le coeur battant la chamade. Non, il faut que je calme ! s'ordonna t-il en se frappant le front. Pas de plaisanteries inutiles et le plus de charme possible, allons-y...!
Akira avait un peu honte de son comportement mais tout n'avait fait que s'accélérer depuis quelques semaines. Dès l'arrivée d'Astrid, le jeune homme n'avait eu d'yeux que pour elle et son si joli sourire. Ce qu'il crut d'abord n'être qu'une fixette d'adolescent se métamorphosa en une attirance aussi niaise qu'incontrôlée. Lui, fils d'archiduc, amoureux d'une servante ? Rina l'aurait aspergé d'eau glacée pour qu'il se reprenne.

Ainsi, les deux jeunes gens finirent par se lier d'une complicité toute enfantine. Akira remarqua qu'ils avaient beaucoup de points communs comme l'amour de la fauconnerie, de la saison du printemps et du pain de seigle. Ils avaient fini par se donner rendez-vous tous les soirs lorsque Astrid était de corvée de linge. Là, seuls, ils discutaient et riaient sans que personne ne les dérange. Il avait l'impression de pouvoir tout lui dire et que rien ne pourrait les contrarier. Peut-être était-ce encore la naïveté de la jeunesse qui faisait effet sur lui, et Akira ne s'en plaignait guère car ces instants lui seraient encore précieux plus tard, il l'aurait juré. Ainsi, le jeune homme faisait toujours en sorte de lui apporter une tranche de pain de seigle dérobée des cuisines et l'aidait volontiers à laver le linge. Pour lui, il s'agissait sans aucun doute du bonheur, si simple qu'il en devenait déroutant.