4 - À la nuit tombée

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3 ans plus tôt

L'immensité qui l'entourait rendait le jeune homme malade. Il avait l'impression d'avoir le vertige rien qu'en observant ces pics aussi pointus que l'est une aiguille à coudre. Ils montaient vers le ciel, comme attirés par cette autre immensité qu'est l'étendue bleue, ce dôme inatteignable...
Néanmoins, le ciel n'était plus bleu à l'heure où marchait Mikhaïl. La nuit tombait et cela faisait bientôt deux jours qu'il gravissait, seulement armé d'un bâton ferré, les montagnes de l'Arsenal situées à l'Est d'Hydralia.

Le musicien était prêt à s'effondrer sous le coup de la fatigue. Les sommets enneigés composant ce décor blanc et meutrier l'oppressaient. Des bourrasques glaciales ne cessaient de souffler et de s'infiltrer sous ses couches de laine et de fourrure. Il tremblait et grinçait des dents mais ne pouvait plus faire marche arrière.
Son périple dura plusieurs jours et plus aucune trace de civilisation n'était en vue. Mikhaïl était seul. Il progressait avec une détermination suicidaire. Son coeur, même lorsqu'il dormait, battait si fort qu'il se demandait s'il n'était pas en train de devenir fou. Il avait les nerfs à vif, totalement hors de lui, ce qui n'était pas dans ses habitudes.

Là-bas, en contrebas, même lorsqu'il était confronté à une bande de vulgaires ensorceleurs, bien décidée à lui voler sa bourse, Mikhaïl demeurait calme. De même quand un démon des souterrains le suivait jusqu'au fin fond de la capitale, muet comme une ombre, attendant le bon moment pour attaquer, Mikhaïl ne flanchait pas. Mais actuellement, il ne contrôlait plus rien. Marcher à l'aveuglette le condamnait certainement à la mort, il en avait conscience, mais il devait y croire. S'accrocher comme un noyé à une planche.
Quand enfin, après des jours et des jours passé dans un froid infernal, il sentit une brise chaude caresser son visage, le jeune homme sut qu'il l'avait trouvé.

♤♤♤

La capitale du duché de la famille Koraz était trois fois plus grande que le village, avoisinant même la superficie de la capitale du royaume elle-même. C'était une ville bâtie en briques de couleur ocre, belle et lumineuse. Électra n'avait pas l'habitude de marcher sur des pavés, car quoi qu'ils fussent irréguliers, cela n'avait rien à voir avec l'espèce de sable mélangé à une boue collante qui faisait office de sol dans sa ville natale.

Les pavés avaient quelque chose d'imperturbable. Et puis c'était une marque de richesse. La jeune femme appréciait tout particulièrement le bruit que faisaient les lourds sabots d'Elis sur la pierre. La cadence lente de cette drôle de musique la faisait somnoler. À vrai dire, elle n'avait pas beaucoup dormi ces temps derniers : cela faisait quatre jours qu'elle avait quitté le village, quatre jours à suivre cette interminable route de campagne qui semblait ne pas avoir de fin. Au début, Électra s'y sentait bien seule, entourée de champs d'orge dorant sous le soleil ou de feuillages verts abritant une faune invisible. Quelquefois, elle croisait un marchand de fruits ambulant, seul, tirant de ses mains une petite roulotte de fortune abritant poires et pommes rouges. Mais au fur et à mesure qu'elle avançait, elle rencontra de plus en plus de gens en charrettes, à cheval, à dos d'âne, à pied aussi. Comme elle, ils prenaient du repos à l'ombre des arbres, dormaient quelques heures puis se remettaient en route dès l'aube, presque mécaniquement.

La plupart d'entre eux craignaient toutefois les brigands qui rôdaient sur les voies fréquentées comme celle-ci. On racontait qu'une ligue de malfaiteurs de leur genre, composée de mercenaires à la retraite et de petits délinquants des rues, faisait des ravages sur les frontières du duché Koraz et du royaume de Cyrianie. Ils détroussaient, violentaient et violaient au possible les infortunés qui avaient la malchance de croiser leur chemin. Par miracle, Électra arriva à la capitale en un seul morceau. J'ai Elis avec moi, de toute manière, se disait-elle avec soulagement. Il est vrai que ce cheval, qui appartenait il y a encore fort peu longtemps aux écuries de M. Sybell, était d'une vitesse remarquable. Mais était-il assez rapide pour échapper aux flèches de brigands sanguinaires ? Rien n'était sûr.

Le Cygne NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant